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[voûtes]
[construction]
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des poussées et par l’adjonction de charges supérieures réduisant ces poussées à une action verticale, était donc complet ; il ne restait plus qu’à simplifier et perfectionner les moyens d’exécution. C’est ce que les constructeurs du XIIIe siècle firent, souvent avec trop d’audace et de confiance en leur principe d’équilibre, mais toujours avec intelligence. Il est évident que la sagacité était la qualité dominante des apôtres de la nouvelle école. Leurs efforts tendaient, sans répit, à renchérir sur l’œuvre précédente, à pousser les conséquences du principe admis jusqu’à l’abus ; si bien que, pendant le XIVe siècle, il y eut réaction, et que les constructions où les questions d’équilibre sont résolues avec le plus de hardiesse sont celles qui furent élevées pendant la seconde moitié du XIIIe siècle. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce fait.

Si l’on veut constater l’extrême limite à laquelle arrivèrent les architectes de la fin du XIIe siècle, en fait de légèreté des points d’appui intérieurs et de stabilité obtenue au moyen de l’équilibre des forces opposées, il faut aller voir le sanctuaire de l’église de Saint-Leu d’Esserent (Oise). Certaines parties de cette construction, élevée vers 1190, sont faites pour exciter notre étonnement. Ce sanctuaire se compose, dans le rond-point, de quatre colonnes monostyles, deux grosses et deux grêles ainsi disposées (45). Les deux colonnes A n’ont que 0,50 c. de diamètre, celles B 0,85 c. environ. Une vue perspective des deux travées sur plan circulaire reposant sur les colonnes A (45 bis) nous indique assez, après ce que nous venons de dire, que les constructeurs ne comptaient alors que sur l’équilibre des forces agissantes et résistantes pour maintenir une masse pareille sur un point d’appui aussi grêle. On voit la colonne A, de 0,50 c. de diamètre, couronnée par un chapiteau extrêmement évasé (voy. Chapiteau, fig. 21), sur lequel reposent un sommier puissant et les trois colonnettes monolithes portant les retombées des voûtes supérieures. Le sommier est assez empatté pour recevoir la pile du triforium et le mur qui le clôt. L’arc-boutant extérieur pousse toute cette construction du dehors au dedans ; mais, étant élevée sur plan circulaire, elle ne peut être chassée à l’intérieur, et plus l’arc-boutant appuie sur la tête de la pile, et plus la construction prend de l’assiette. La charge énorme que reçoit verticalement la colonne A assure sa stabilité. L’équilibre ne peut être rompu, et, en effet, ce chevet n’a subi aucun mouvement.

Dans l’Île-de-France, cependant, les constructeurs surent toujours garder une certaine mesure, et ne tombèrent jamais dans les exagérations si fréquentes chez les architectes de la Champagne et de la Bourgogne. Chez ces derniers, ces exagérations étaient justifiées jusqu’à un certain point par la qualité excellente des matériaux de cette province, les architectes bourguignons, se fiant à la résistance extraordinaire de leurs pierres,