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de cet article, mais sont composés de grands châssis à jour compris entre des arêtiers, ainsi que l’indique le tracé P, et séparés par des linteaux Q qui servent d’étrésillonnements entre ces arêtiers très-chargés, puisqu’ils portent les montants des tourelles d’escaliers. Suivant le projet, les angles R de la lanterne carrée étaient portés, chacun, sur les deux arêtiers O, comme par deux contre-fiches de pierre. Les quatre grands pinacles recevant les quatre escaliers arrivant à la plate-forme A, et les tourelles hexagones des escaliers d’arêtiers de la flèche, avaient été combinés pour être terminés par des pyramidions ajourés, ce qui eut produit une silhouette surprenante et d’un grand effet. Les ressources auront probablement fait défaut, et tous ces couronnements se terminent carrément, ce qui de loin produit une suite de gradins gigantesques d’un effet déplorable.

Il est entendu, nous ne prétendons pas le nier, que la flèche de la cathédrale de Strasbourg est un chef-d’œuvre ; mais cette admiration assez générale est surtout motivée sur la hauteur excessive de l’édifice. Pour nous, architectes, dont l’admiration ne croît pas avec le niveau des monuments, nous devons considérer la flèche de Strasbourg comme une des plus ingénieuses conceptions de l’art gothique à son déclin, mais comme une conception pauvrement exécutée. Ce n’était pas certes là ce qu’avait imaginé l’auteur du plan sur vélin dont nous venons de donner un fragment ; il avait voulu, sans aucun doute, obtenir une silhouette rampante et finement découpée par le moyen d’une suite de pyramidions pénétrés par ces hexagones si adroitement enchevêtrés, et non point une série de gradins qui arrêtent l’œil de la façon la plus désagréable. Plantant une lanterne carrée sur la pyramide octogone de la flèche, il prétendait réveiller le couronnement par une forme contrastant avec les angles obtus de la base. Il devait certainement couronner cette lanterne par une dernière pyramide octogone très-aiguë, et non par ce lanternon renflé qui termine la flèche actuelle. Mais si, vers le milieu du XVe siècle, les architectes gothiques étaient devenus d’excellents géomètres, des appareilleurs subtils, ils avaient perdu ce sentiment exquis de la forme qui se trouve chez leurs devanciers. Leurs combinaisons ingénieuses, leur prétention à la légèreté excessive, les conduisent à la lourdeur par la multiplicité des détails et la complication des formes dont on ne peut plus démêler le sens. C’est surtout dans les silhouettes qu’apparaissent ces défauts ; les formes simples, compréhensibles, étant les seules qui produisent de l’effet quand on en vient à découper un édifice sur le ciel. Toutefois, l’examen des plans de l’Œuvre de Strasbourg laisse deviner quelque chose de bien supérieur à ce que nous voyons, et, pour l’honneur des successeurs d’Erwin de Steinbach, il faut croire que l’argent leur a manqué comme à tous les architectes qui ont eu la charge de terminer ou de continuer les cathédrales pendant les XIVe et XVe siècles.

D’après le projet, les six hexagones formant l’escalier serpentant, construits au moyen de montants de pierre reliés par des claires-voies et des linteaux, devaient se terminer en pyramidions ajourés pénétrés chacun