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à côté ; sur cette face, pas d’autres ouvertures que deux fenêtres relevées. Devant cette large porte était suspendu un appentis très-saillant (si l’on en juge par ses amorces et les entailles de la charpente), qui servait d’abri aux chariots amenant les malades. Pour l’usage ordinaire, on se contentait de passer par la petite porte. Sur les dehors, au contraire, cette salle de malades était percée de deux rangs de larges fenêtres disposées de telle façon que celles du bas éclairaient des cellules en bois, semblables à celles de l’hôpital de Tonnerre, et celles du haut s’ouvraient sur une galerie, à laquelle on montait par un escalier ménagé dans la travée I (voy. le plan) dépourvue de fenêtre. À Tonnerre, l’intervalle entre chaque cloison est de 2 toises (3m,95) ; même espace entre les axes des contre-forts de la salle du Tortoir (voy., fig. 12, un angle de la face de la salle du côté extérieur). En supposant les cloisons des cellules de la même profondeur que celles de l’hôpital de Tonnerre, et plaçant sept cloisons dans l’axe de chaque contre-fort, la salle ayant dix mètres de large, il restait six mètres pour la circulation du côté de l’entrée, en dehors des cellules (voy. le plan), et on pouvait placer sept lits dans celles-ci, l’escalier de la galerie prenant la place d’une cellule. Or ce nombre de sept lits est très-fréquemment admis dans ces petits établissements de charité. Si nous nous rappelons que les maladreries étaient spécialement réservées aux malheureux affectés de maladies contagieuses, et que des précautions minutieuses étaient prises non-seulement pour les séparer des populations, mais aussi pour les isoler entre eux, nous comprendrons ici cette disposition des cellules avec fenêtres, qui permettaient à ces pauvres gens de voir la campagne et de se réchauffer aux premiers rayons du soleil, car ces fenêtres donnent au levant. Elles étaient d’ailleurs munies de volets à l’intérieur, de manière à éviter la trop grande chaleur. Un chemin de ronde avec mâchicoulis réunissait les bâtiments et était mis en communication, par des portes percées dans les pignons, avec la galerie intérieure. Un fossé entourait l’enceinte, ainsi qu’on peut le reconnaître en examinant les soubassements extérieurs de la grande salle. On n’arrivait au sommet des quatre tourelles que par la galerie et des échelles posées dans ces tourelles servant d’échauguettes.

Le moyen âge montrait donc dans la composition de ces établissements de bienfaisance l’esprit ingénieux qu’on lui accorde dans la construction des monuments religieux. C’est un singulier préjugé, en effet, de vouloir que ces architectes eussent été si subtils lorsqu’il s’agissait d’élever des églises, et en même temps si grossiers lorsqu’il fallait élever des édifices civils. Ce n’est pas leur faute si l’on a détruit, depuis le XVIe siècle, la plupart de ces établissements de bienfaisance divisés à l’infini, mais généralement bien disposés d’ailleurs, pour les remplacer par des hôpitaux dans lesquels, au contraire, on a cherché, peut-être à tort, à concentrer le plus grand nombre de malades possible. Louis XIV, le grand niveleur de toute chose et de tout état en France, a gratifié les hôpitaux élevés sous son règne des biens de ces nombreuses maladreries et lépro-