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[latrines]
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Cependant, si les châteaux du moyen âge ne présentaient pas des façades arrangées par belle symétrie, des colonnades et des frontons, ils possédaient des latrines pour les nobles seigneurs comme pour la garnison et les valets ; ils en possédaient autant qu’il en fallait et très-bien disposées. À Coucy, les tours et le donjon du commencement du XIIIe siècle ont des latrines à chaque étage, construites de manière à éviter l’odeur et tous les inconvénients attachés à cette nécessité. Les latrines du donjon s’épanchent dans une fosse large, bien construite, et dont la vidange pouvait se faire sans incommoder les habitants. Quant aux latrines des tours, elles étaient établies dans les angles rentrants formés par la rencontre de ces tours et les courtines, et rejetaient les matières au dehors dans l’escarpement boisé qui entoure le château.

Voici (1) un de ces cabinets donnant sur un palier A en communication avec les salles et l’escalier. B est la courtine, C la tour. De B en D est construit un mur en encorbellement masquant le siège E. En F est un urinoir et en G une fenêtre. Le tracé H donne l’aspect du cabinet à l’extérieur, et le tracé I sa coupe sur AX. Là il n’y avait pas à craindre l’odeur, puisque les matières tombaient dans un précipice.

La fig. 2 nous présente un cabinet qui existe encore intact dans le château de Landsperg (Bas-Rhin)[1], et qui jette, de même que ceux des tours de Coucy, les matières à l’extérieur. Le siège d’aisances est entièrement porté en encorbellement sur le nu du mur. La figure A donne le plan, la figure B la coupe, et la figure C la vue de l’encorbellement du siège avec la chute en perspective. Comme il y avait lieu de se défier des traits qui pouvaient être lancés du dehors, on observera que le constructeur a eu la précaution de placer une dalle de champ descendant en contre-bas des deux corbeaux latéraux, afin de masquer complètement les jambes de la personne assise sur le siège, composé d’une simple dalle trouée. La nuit, il était d’usage de se faire accompagner, lorsqu’on se rendait au cabinet, par un serviteur tenant un flambeau. Cette habitude ne paraît avoir été abandonnée que fort tard. Grégoire de Tours rapporte qu’un prêtre mourut aux privés pendant que le serviteur qui l’avait accompagné avec un flambeau l’attendait derrière le voile qui tombait sur l’entrée[2] ; et dans les Mémoires de Jehan Berthelin, écrits vers 1545, nous lisons qu’un chevalier du roi, logé à Rouen à l’hôtel du Cheval blanc, « luy estant levé il se en alit aux pryvetz avec le serviteur dudit logis, lesquels tous deux fondyrent et tombèrent dedens lesdits pryvets, et furent tous deux noiez à l’ordure[3]. » Dans les Cent nouvelles nouvelles,

    dans un couloir empesté, elle ne put retenir cette exclamation de regret : « Cette odeur me rappelle un bien beau temps ! »

  1. Ce dessin nous a été fourni par M. Cron, architecte. Ce château date du XIIe siècle.
  2. Lib. II, cap. XXIII.
  3. Journal du bourgeois de Rouen ; Revue rétrospect. normande. Publ. par André Pottier ; 1842.