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Le confort est aujourd’hui le maître, nous l’admettons ; alors soyons conséquents.

Est-il confortable d’élever à Marseille des maisons sur le modèle de celles de Paris, ou même de construire des façades exposées au nord pareilles à celles qui sont ouvertes vers le midi ? Est-il confortable d’éclairer des pièces, petites et grandes, au moyen de fenêtres d’égales dimensions, d’avoir des trumeaux étroits pour de grandes salles, et larges pour des cabinets ? Des portiques sur la rue, qui laissent pénétrer le soleil ou la pluie sur toute la largeur de leur pavé, sont-ils confortables ? Est-ce une chose confortable que cette division multipliée des pièces sur une surface peu étendue, qui fait que la vie intérieure se passe à ouvrir et fermer des portes, et qu’on ne sait où placer les meubles les plus indispensables. Et ces étages de moins de trois mètres de hauteur, sous plafond, sont-ils sains et confortables ? Ces murs minces, ces toits en zinc qui soumettent les intérieurs à toutes les variations de la température, cette absence de saillies devant les façades qui laisse les baies exposées tout le jour au soleil, sont-ce là des choses confortables ? Allons aux champs, c’est bien pis ! La petite maison blanche, aux murs minces comme du carton, aux toits couverts de feuilles de zinc, aux fenêtres fermant mal, aux rez-de-chaussées humides, aux planchers qui crient, aux escaliers qui crient, aux cuisines répandant une odeur nauséabonde dans l’intérieur, mais qui, à l’extérieur, paraît un beau petit, pavillon carré, brillant au soleil ; cette habitation est-elle confortable ? Le château moderne avec ses tourelles, ses toits ornés, des placages de briques et de pierres qui prétendent imiter la vieille construction… ce château est-il confortable ? Non point. Tout cela est apparence : les tourelles sont accrochées avec du fer ; les toits compliqués, couverts avec des moyens économiques, mais garnis de crêtes à jour en zinc, laissent filtrer les eaux dans les intérieurs ; les murs trop minces craquent ; les planchers, trop faibles pour leurs portées, fléchissent. Les écoulements d’eau sont insuffisants ; les cheminées fument parce que les âtres sont larges comme il convient dans un château, et que les tuyaux sont étroits puisqu’ils passent dans des murs minces. Partout les porte-à-faux produisent des lézardes, parce qu’on a demandé de grandes pièces à rez-de-chaussée, et que les étages supérieurs sont divisés à l’infini par des cloisons. Des cheminées portent sur le milieu des planchers. Nous n’en finirions pas si nous voulions énumérer toutes les misères plus ou moins secrètes du château moderne ; misères qui se révèlent de temps à autre par quelque procès intenté à l’architecte complaisant qui n’a fait, au total, que ce qu’on lui a demandé. Sur son refus d’ailleurs ne s’en serait-il pas trouvé dix autres ?

Les maisons du moyen âge étaient faites pour les habitudes de ceux qui les élevaient ; de plus, elles sont toujours sagement et simplement construites. Chaque besoin est indiqué par une disposition particulière : la porte n’est pas faite pour plaire aux regards du passant, mais pour celui