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archéologues qui les découvriraient dans deux mille ans de se faire une idée des goûts, des mœurs et des habitudes de la génération qui les a élevées ; mais si on pénètre aujourd’hui dans une maison du moyen âge passablement conservée, tout, dans ces habitations, nous reporte aux façons de vivre de leurs habitants. Là on sent un peuple qui a son caractère à lui, ses goûts distincts, ses traditions et ses tendances.

D’ailleurs, l’hôtel du seigneur et même la maison du bourgeois devenu un personnage important dans la cité se distinguent de l’habitation du citadin, du commerçant ou du fabricant, d’une manière tranchée. Si le citadin pose sa façade sur la rue, tient à vivre sur la rue, l’homme noble, au contraire, élève son logis en arrière, entre cour et jardin ; sur la voie publique, il place un mur de clôture ou des communs. Autant la maison du simple bourgeois ressemble à une lanterne, autant celle du seigneur ou de l’homme devenu un gros personnage est fermée aux regards du passant. Nous avons lu quelque part que la marquise de Rambouillet fut la première à Paris qui eut l’idée de se faire bâtir un hôtel entre cour et jardin ; c’est là une de ces erreurs comme tant d’autres propagées avec insistance pour faire croire que le XVIIe siècle a tout fait et qu’avant cette époque il n’y avait que ténèbres et barbarie. D’abord, Tallemant des Réaux, qui seul, parmi les contemporains de la marquise, parle des soins qu’elle prit de la construction de son hôtel, ne dit pas un mot de cela, et, l’eût-il dit, que les hôtels existant bien antérieurement à cette époque lui donneraient le plus complet démenti. En effet, les hôtels de Saint-Pol, des Tournelles, de Bourbon, de la Trémoille, de Sens, de Guise, de Cluny, à Paris, étaient et sont encore entre cour et jardin. Il était donc facile, dans une ville, de reconnaître les habitations des personnages considérables entre celles des bourgeois. Mais les maisons des bourgeois elles-mêmes avaient un cachet particulier en raison de l’état ou de la position de ceux qui les habitaient. Les maisons d’une ville manufacturière et marchande comme Beauvais, Amiens, Reims, Troyes, ne ressemblaient pas à celles d’une ville habitée par des propriétaires de terres et vivant de leurs revenus ou d’un commerce de grains, de vins ou autres produits. Si la maison du Rémois ou du bourgeois de Troyes est ouverte à rez-de-chaussée ou élevée sur un portique qui permet aux marchands de parler de leurs affaires, celle de Provins, par exemple, ou de Laon, est soigneusement murée sur la rue jusqu’à la hauteur du premier étage. La fig. 16 reproduit la façade d’une de ces maisons de Provins, donnant sur la rue de Paris, et datant de la seconde moitié du XIIIe siècle.

Ici, l’habitant se renferme ; le dehors n’a pas à s’occuper de ce qui se passe chez lui. La salle est au premier étage ainsi que les chambres. Le rez-de-chaussée est réservé aux communs, aux provisions, à la cuisine. Les étages sont hauts entre planchers ; on sent que dans ces habitations la vie est simple et large. D’ailleurs, on observera avec quel soin la construction est faite, comme les vides des fenêtres sont bien soulagés