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Nous venons de dire que le pouvoir féodal clérical pesait plus lourdement alors sur les villes du Nord que tout autre. On se rappelle que (dans l’article Cathédrale) nous avons expliqué comment les évêques, vers la fin du XIIe siècle, préoccupés de l’importance exagérée que prenaient les établissements monastiques, lesquels avaient absorbé à leur profit une grande partie de l’autorité diocésaine d’une part, et désireux d’empiéter sur le pouvoir féodal laïque de l’autre, s’entendirent avec la plupart des grandes villes situées au nord de la Loire[1], pour élever des cathédrales qui deviendraient le monument de la cité, dans lequel les habitants pourraient se réunir à leur gré, traiter des affaires publiques, faire juger leurs procès[2] ; comment ces évêques espéraient ainsi détruire le pouvoir colossal que s’étaient attribué les abbayes, et amoindrir celui des seigneurs laïques ; comment cette tentative, d’abord secondée avec une ardeur extrême par les cités, échoua en partie à la suite de la protestation des quatre barons délégués en 1246 vers le roi Louis IX, et de l’établissement des baillis royaux ; comment cependant la bourgeoisie, faisant alliance plus intime avec la royauté dont elle sentait dès lors le pouvoir protecteur, cessa brusquement de subvenir à la construction de ces immenses basiliques, regardées comme une garantie de leurs libertés futures, pour lutter contre le pouvoir féodal de l’évêque et des chapitres, le plus étendu, presque toujours, dans la cité. Cette lutte, soutenue souvent par les seigneurs laïques et tolérée par le pouvoir royal lorsqu’il y trouvait un moyen d’étendre son autorité, eut pour résultat d’entretenir au sein de la population de ces villes une fermentation incessante et de lui donner une idée de sa force si elle se maintenait unie. De là ces habitations si intimement liées, si voisines, toutes construites à peu près sur un même programme suivi jusqu’à la fin du XVe siècle.

Il nous faut toujours pénétrer dans les mœurs du moyen âge lorsque nous voulons avoir la raison de son architecture. Les Romains passaient une grande partie de leur temps dans les monuments publics, dans les basiliques, sous les portiques, dans les thermes et les édifices destinés à des jeux, théâtres, cirques, amphithéâtres, etc. Bien que, de nos jours, les grandes villes contiennent beaucoup de monuments publics, cependant, lorsqu’on jette les yeux sur le plan de la Rome antique, où les monuments occupent une si grande surface relative, on se demande où logeaient les habitants d’une ville aussi populeuse ; c’est que les Romains (nous ne parlons pas de ceux qui possédaient des palais immenses

  1. Noyon, Senlis, Paris, Bourges, Chartres, Rouen, Sens, Arras, Amiens, Cambrai, Troyes, Reims, Laon, Soissons, Beauvais, Auxerre, etc.
  2. Par suite de ce raisonnement « que l’Église, en vertu d’un pouvoir que Dieu lui a donné, doit prendre connaissance de tout ce qui est péché, afin de savoir si elle doit remettre ou retenir, lier ou délier. » C’était là un empiétement sur le pouvoir judiciaire de la féodalité laïque en masse.