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[manoir]
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samment fermée pour être à l’abri d’un coup de main tenté par quelques aventuriers, elle ne prétend point résister à un siège en règle. Simple, pendant les XIIe et XIIIe siècles, comme les habitudes des propriétaires terriens de ce temps, le manoir ne possède alors qu’une salle avec cellier au-dessous et petit appartement accolé ; à l’entour viennent se grouper quelques bâtiments ruraux, granges, étables, pressoir, fournil, logis des hôtes ou des colons, le tout enclos d’une muraille ou d’un fossé profond.

Au XIVe siècle le manoir s’étend, il essaye de ressembler au château, il possède plusieurs étages, les services se compliquent. À la fin du XVe siècle, le manoir prend souvent toute l’importance du château, sauf les défenses, consistant en tours nombreuses, ouvrages avancés, courtines élevées. Plessis-les-Tours, habité par Louis XI, n’était qu’un grand manoir, et sa véritable défense consistait en une surveillance assidue des abords qui en éloignait les indiscrets et les gens suspects. Lorsque l’artillerie à feu devint un moyen d’attaque contre lequel la fortification du moyen âge fut reconnue impuissante, des manoirs s’élevèrent en grand nombre parce qu’on constatait chaque jour l’inutilité des défenses dispendieuses élevées par les siècles précédents. Au XVIe siècle, beaucoup de petits châteaux même virent démolir leurs tours inutiles, percer leurs courtines sur les dehors, et furent ainsi convertis en manoirs. Ces modifications apportées en France par les mœurs, par la centralisation du pouvoir, par l’affaiblissement de la féodalité, dans les résidences des champs, modifications qui tendaient à remplacer le château par le manoir, n’avaient pas de raisons de se produire en Angleterre. Dans ce pays le château n’est qu’une place forte ; l’habitation de campagne prend, dès une époque ancienne, l’aspect du manoir, et elle le conserve encore aujourd’hui.

Il n’existe plus en France de ces manoirs des XIIIe et XIVe siècles, comme on en voit encore en Angleterre ; les guerres des XVe et XVIe siècles en renversèrent un grand nombre, car ces résidences ne pouvaient se défendre contre des corps armés. Au dernier siècle, l’amour de la nouveauté fit détruire une quantité immense de ces demeures des champs. Quelques-unes des plus solides, se rapprochant des dispositions défensives du château, furent seules conservées. Quant aux manoirs ouverts, et qui seraient pour nous des maisons de campagne, c’est à peine si dans quelques fermes de la Champagne, de la Bourgogne, de l’Île-de-France, de Laonnais, du Soissonnois et du Beauvoisis, on en retrouve quelques traces, telles que caves, substructions et enceintes.

Nous décrirons plusieurs des manoirs encore debout, et nous entrerons dans quelques détails touchant les conditions imposées aux constructeurs de ces demeures. Charlemagne fit bâtir deux palais « d’un remarquable travail, dit Eginhard[1], le premier non loin de Mayence, près de la

  1. Vita Karoli imperat., cap. XVII.