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[ogive]
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Et (voir le tracé G), si nous divisons un diamètre d’arc ogive en quatre ou en dix, avec la même ouverture de compas, nous pourrons avoir une suite d’arcs dont les diamètres seront au diamètre du plein-cintre, qui est le plus grand arc de la voûte ou l’arc ogive, comme trois, deux, un sont à quatre, ou comme neuf, huit, sept, six, etc., sont à dix. Ayant donc des claveaux tous taillés sur un même arc, et une base ou fraction de base, nous pouvons, sans épure, monter tous les arcs d’un édifice. On comprend alors le motif qui avait fait adopter l’arc brisé que l’on appelle lancette : c’était une économie de tracé, on évitait toute complication d’épures et de panneaux, il ne s’agissait plus que de donner la section de chacun de ces arcs suivant leur fonction. Tous taillés d’ailleurs sur une même courbure (à l’extra-dos), ils prenaient leur place suivant la désignation donnée. S’il fallait des épures, c’était seulement pour les cintres en charpente, et encore ces arcs étant tous tracés à l’aide d’un même rayon, l’épure du demi-cercle ou de l’arc ogive permettait de mettre sur ligne tous les autres cintres, puisqu’il suffisait de savoir quel était le rapport existant entre les diamètres de ces arcs et celui du demi-cercle pour avoir le tracé complet de chacun d’eux, ainsi que le fait voir la figure 13 en G[1].

De ce qui précède on peut conclure : 1o que l’arc brisé, appelé ogive, a été d’abord une importation d’Orient ; 2o qu’adopté en Orient comme une courbure donnée par un principe de proportion expliqué ailleurs[2], cet arc brisé a été en France le point de départ de tout un système de construction parfaitement logique, et permettant une grande liberté dans l’application ; 3o que par conséquent l’arc brisé, comme forme, appartient probablement à l’école d’Alexandrie et aux Nestoriens, qui paraissent les premiers l’avoir adopté ; mais que, comme principe d’un nouveau système de voûtes, il appartient sans aucun doute à nos provinces du nord de la Loire, puisqu’en 1140, dans l’église abbatiale de Saint-Denis, les constructions élevées par Suger ne laissent apparaître les plein-cintres que pour les arcs ogives, et qu’elles ont appliqué déjà le système de voûtes que nous voyons se développer dans la cathédrale de Paris vingt ans plus tard. Or, nulle part, ni en Europe, ni en Orient, au milieu du XIIe siècle, on ne construisait de voûtes ayant quelques points de rapports, comme emploi de l’arc brisé, avec celles de l’église de Saint-Denis et de la cathédrale de Paris. Si donc l’arc brisé a pris naissance hors de France comme forme d’arc, nous sommes les premiers qui ayons su l’appliquer à l’une des plus fertiles inventions dans l’histoire de la construction. Si donc l’arc brisé a pris naissance hors de France, nous sommes les premiers qui ayons su tirer de cette forme, issue d’un senti-

  1. C’est en faisant refaire des arcs de voûtes gothiques que nous avons été amené à reconnaître cette unité de la courbe pour beaucoup d’entre eux dans un même édifice, quel que fut le diamètre de chacun de ces arcs, car les courbes de cintres en charpente taillés pour l’un servaient pour plusieurs ; seulement le segment de chaque branche était plus ou moins long.
  2. Dans nos Entretiens sur l’architecture (Neuvième).