Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 7.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[pont]
— 228 —

lentes conditions, et presque toutes ses piles posaient sur le roc vif ; mais, ainsi qu’on l’a vu plus haut, les hommes contribuèrent autant que les eaux terribles du Rhône à le détruire. Depuis l’époque où l’on dut renoncer à se servir de ce moyen de traverser le fleuve, on a établi en aval un pont de bois souvent endommagé par les crues du Rhône, et sur le petit bras, depuis trente ans, un pont suspendu dont la durée est fort compromise. En jetant les yeux sur notre figure 2, on observera que le pont d’Avignon ressemble assez à une passerelle de planches posée sur des bateaux. Les frères pontifes, pour résister à l’action puissante du courant du Rhône sur ce point, surtout pendant les crues, n’avaient rien imaginé de mieux que d’établir en pierre et à demeure ce que le sens vulgaire indique de faire lorsqu’on établit un pont de bateaux, et ce n’était pas trop mal imaginé.

Dans le pays de Saint-Savourin-du-Port, sur le Rhône, appartenant à l’abbaye de Cluny, un abbé de cet ordre, Jean de Tensanges, fit commencer en 1265 le pont Saint-Esprit, sur lequel on passe encore aujourd’hui. Trente années furent employées à sa construction. La largeur de son tablier est de 5 mètres, et sa longueur de 1 000 mètres environ ; le nombre de ses arches est de vingt-deux. Celles-ci sont plein cintre, et n’offrent pas la particularité dans leur tracé que l’on observe au pont de Saint-Bénezet. Elles sont cependant construites au moyen de rangs de claveaux juxtaposés. Dans les tympans, des arcades permettent aux crues du fleuve de trouver passage. Le pont Saint-Esprit fut la dernière œuvre des frères hospitaliers pontifes. Dès lors le relâchement de cet ordre contribua à sa complète décadence. Il faut dire qu’à dater du XIIIe siècle, dans les constructions civiles et religieuses, les écoles des maîtres des œuvres laïques avaient remplacé partout les corporations religieuses, les villes comme les seigneurs n’avaient plus besoin de recourir aux frères constructeurs de ponts et autres. Le pont Saint-Esprit forme un coude à l’opposite du courant sur le grand bras du Rhône, comme le pont d’Avignon. Il était encore fermé à ses deux extrémités par des portes au XVIIe siècle, et aboutissait du côté du bourg à une défense assez importante du XIVe siècle, qui, plus tard, fit corps avec la citadelle qui commandait le cours du fleuve en amont. On peut prendre une idée de ces défenses en jetant les yeux sur la gravure donnée dans la Topographie de la Gaule[1].

Parmi les ponts du XIIe siècle que nous possédons encore en France, il faut citer le vieux pont de Carcassonne, bâti par les soins de la ville en 1184. Le péage de ce pont était destiné à son entretien. Ses arches sont plein cintre, bâties par claveaux reliés, mais non juxtaposés comme

  1. Édit. de Francfort, gravures de Mérian. — Deux arches du pont Saint-Esprit ont été détruites depuis peu pour être remplacées par une arche en fonte de fer, afin de faciliter le passage des bateaux. Il a fallu arracher à grand’peine la pile supprimée, dont la maçonnerie était excellente.