Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 7.djvu/392

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[porte]
— 389 —

moyen d’une échelle ; puis, à la suite d’un homme, d’une femme et d’un enfant qui paraissent se disputer, une famille composée également d’un homme, d’une femme et d’un enfant dont les têtes sont munies d’oreilles colossales. La tête de l’enfant sort de ses deux oreilles comme de deux coquilles qui l’enveloppent presque entièrement.

Que signifient ces bas-reliefs ? Il faut d’abord observer qu’ils tiennent la place occupée dans des tympans de la même époque, ou peu s’en faut (comme celui de la cathédrale d’Autun, par exemple), par les scènes du jugement dernier, de la séparation des élus des damnés. Alors les élus occupent le linteau de gauche (celui qui est à la droite du Christ), et les damnés le linteau de droite. Si l’on se reporte au temps où fut sculptée la porte principale de l’église de la Madeleine, on observera que les moines de Vézelay avaient atteint un degré de puissance et d’influence tel, qu’il fallut près d’un siècle de luttes sanglantes entre ces religieux, les comtes de Nevers et les habitants de la commune de Vézelay, pour amoindrir ce pouvoir exorbitant. Pour les abbés de Vézelay, l’action la plus louable, celle qui devait faire gagner le ciel, était certainement le payement régulier des redevances dues à l’abbaye, l’apport de dons ; et, jusqu’au milieu du dernier siècle, bien que l’abbaye de Vézelay fût sécularisée depuis le XVIe, il y avait encore, à Vézelay, une fête dite de l’Apport, et qui consistait à remettre à l’abbé des produits du sol, des bestiaux et des volailles.

Pour nous, le linteau de gauche représente les élus, c’est-à-dire ceux qui apportent à l’abbaye les produits de leur chasse, de leur pêche, de leurs champs. Le linteau de droite représente les damnés, ou plutôt les damnables. On remarquera d’abord, de ce côté, la figure de saint Pierre qui garde les portes du Paradis, et probablement celle de sainte Madeleine, qui intercède pour les pécheurs[1]. Les personnages qui remplissent ce linteau représenteraient donc les vices ou les péchés. Les guerriers combattants personnifieraient la discorde, la guerre ; le petit homme montant à cheval à l’aide d’une échelle, l’orgueil[2] ; la famille qui semble se quereller, la colère ; et enfin, la famille aux grandes oreilles, peut-être la calomnie. Nous ne prétendons donner cette explication autrement que comme une hypothèse, déduite d’ailleurs de beaucoup d’autres exemples tirés de l’église de Vézelay elle-même. Plusieurs chapiteaux représentent également des vices personnifiés. Et, d’ailleurs nul archéologue n’ignore que, sur les portails de nos cathédrales, sont figurés fréquemment les vices et les vertus en regard. Nous y reviendrons. Au-dessus de ces deux linteaux, si étrangement composés, se développe la grande scène du Christ dans sa gloire, entouré des douze apôtres, tous nimbés, tous tenant

  1. Les têtes de ces figures ont été cassées, mais elles paraissent avoir été tournées du côté des personnages qui garnissent le linteau.
  2. On voudra bien se rappeler que dans beaucoup de sculptures et de peintures des XIIe et XIIIe siècle, l’orgueil est personnifié par un homme tombant de cheval.