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bois et leur parfaite conservation. Ces poteaux, non plus que les poitrails, ne présentent de gerçures, ils semblent taillés dans une matière homogène. Pour que des bois d’un aussi fort équarrissage pussent subir, sans se gercer, les variations de la température, il fallait qu’ils fussent purgés de leur sève par un moyen quelconque, et approvisionnés très-longtemps avant leur emploi. Cette même observation peut s’appliquer aux poteaux de nos maisons et halles datant de quatre cents ans. Il est bien rare que dans ces pièces de bois on signale une gerçure[1].

On entend par poteau cornier, une pièce de bois verticale qui fait l’angle de deux pans de bois se retournant d’équerre, et dans laquelle viennent s’assembler les sablières. Les poteaux corniers doivent être pris, autant que faire se peut, dans un seul brin, afin de présenter une parfaite rigidité. La pièce A, fig. 3, est un poteau cornier. Des repos, outre les mortaises, reçoivent les extrémités des sablières des planchers. Ces poteaux corniers sont habituellement façonnés avec soin, ornés de sculptures, de profils, de statuettes, choisis dans les plus beaux brins et les plus sains. Nous avons montré plusieurs de ces pièces de charpente dans les articles Maison et Pan de bois ; il paraît donc inutile de nous étendre plus longtemps sur leur fonction et leur forme. On voit encore des poteaux corniers bien travaillés dans quelques maisons de Rouen, de Chartres, de Beauvais, de Reims, d’Angers, d’Orléans, de Sens. Il en existe un encore, représentant un arbre de Jessé, à l’angle d’une maison de la rue Saint-Denis, à Paris, qui date du commencement du XVIe siècle. Quelquefois, dans les châteaux des XIIIe et XIVe siècles notamment, les solives des planchers ne portaient pas dans les murs, mais sur des lambourdes épaisses soutenues de distance en distance par des poteaux adossés au parement intérieur de ces murs. C’était un moyen d’éviter la pourriture, qui trop souvent se manifeste dans les portées des solives pénétrant la maçonnerie, et de permettre d’élever les murs sans se préoccuper d’y sceller les solivages. Ainsi couvrait-on le bâtiment et posait-on les planchers sans craindre de les laisser mouiller ; ce qui est un point capital si l’on veut éviter la détérioration des bois et les gerçures. Les poteaux adossés aux murs avaient encore cet avantage de permettre d’attacher les lambris de menuiserie et les tapisseries en laissant un isolement très-favorable à leur parfaite conservation. D’ailleurs si l’on eût voulu n’habiter ces châteaux, dont les murs ont souvent plus de deux mètres d’épaisseur, que quand les maçonneries eussent été sèches, il eût fallu attendre plusieurs années. L’isolement laissé entre les murs et les boiseries ou tentures permettait de s’installer dans ces demeures sans avoir à redouter les funestes effets produits par les maçonneries fraîches sur la santé. Il y avait donc plusieurs bonnes raisons pour poser des planchers sur des poteaux adossés, et nous recommandons cette méthode aux architectes qui bâtissent des habitations de campagne, où la

  1. Voyez Charpente, Maison, Pan de bois.