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Par le fait, dans ces peintures de sujets, chaque figure présente une silhouette se détachant en vigueur sur un fond clair, ou en clair sur un fond sombre, et rehaussée seulement de traits qui indiquent les formes, les plis des draperies, les linéaments intérieurs. Le modelé n’est obtenu que par ces traits plus ou moins accentués, tous du même ton brun, et la couleur n’est autre chose qu’une enluminure. Les peintures des vases dits étrusques, celles que l’on a découvertes dans les tombeaux de Corneto, procèdent absolument de la même manière. Alors les accessoires sont traités comme des hiéroglyphes, la figure humaine seule se développe d’après sa forme réelle. Un palais est rendu par deux colonnes et un fronton, un arbre par une tige surmontée de quelques feuilles, un fleuve par un trait serpentant, etc. Peut-on, lorsqu’il s’agit de peinture monumentale, produire sur le spectateur autant d’effet par ces moyens primitifs que par l’emploi des trompe-l’œil ? ou, pour parler plus vrai, des hommes nés au milieu d’une civilisation chez laquelle on s’est habitué à estimer la peinture en raison du plus ou moins de réalité matérielle obtenue, peuvent-ils s’émouvoir devant des sujets traités comme le sont ceux des tombeaux de Corneto, ceux des catacombes, ou ceux de l’église de Saint-Savin ? C’est là toute la question, qui n’est autre qu’une question d’éducation.

Un enfant est tout autant charmé, sinon plus, devant un trait enluminé que devant un tableau de Rubens. Il n’est pas dit que ce trait soit barbare, sans valeur comme art. Faites au contraire que ce trait ne reproduise que de belles formes, qu’il soit pur de style et que l’enluminure soit harmonieuse : si le spectateur est ému devant cette interprétation de la nature, n’est-ce pas un hommage qu’il rend à l’art ? et l’art ne prouve-t-il pas ainsi qu’il est une puissance ? Que pour la peinture de chevalet on en soit arrivé peu à peu à une imitation fine et complète de la nature choisie, à produire des effets de lumière d’une extrême délicatesse, à concentrer pour ainsi dire l’attention du spectateur sur une scène rendue à l’aide d’une observation scrupuleuse, avec une parfaite distinction, certes nous ne nous en plaindrons pas, puisque c’est à ce

    facile à produire que l’illusion, même avec cette naïveté de moyens qui semblent l’éloigner. Assurément un mur de scène de marbre, avec sa décoration immobile, n’empêchait pas les Grecs de s’intéresser à une action qui devait se passer dans une forêt ou parmi les rochers du Caucase ; et le parterre de Shakspeare, en voyant deux lances croisées au fond de la grange qui servait de théâtre, comprenait qu’une bataille avait lieu : la péripétie l’agitait, et chacun frémissait aux cris de Richard offrant tout son royaume pour un cheval. À côté de cette indifférence pour les détails accessoires, ou si l’on veut, de cette ignorance primitive, on remarque parfois une imitation très-juste et un sentiment d’observation très-fin dans les attitudes et les gestes des personnages. Les têtes, bien que dépourvues d’expression, se distinguent souvent par une noblesse singulière et une régularité de traits qui rappelle, de bien loin, il est vrai, les types que nous admirons dans l’art antique…… »