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Nous avons dit que les peintres grecs avaient été les premiers maîtres de nos artistes occidentaux ; mais en Grèce (nous parlons de la Grèce byzantine) la peinture a conservé une forme hiératique dont chez nous on s’est affranchi rapidement. Au XIIIe siècle déjà, Guillaume Durand, évêque de Mende, écrivait dans son Rationale divinorum officiorum[1], en citant un passage d’Horace : « Diversæ historiæ tam Novi quam Veteris Testamenti pro voluntate pictorum depinguntur ; nam

«…… pictoribus atque poetis,
Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas. »

Cet hommage rendu à la liberté qui doit être laissée à l’artiste fait un étrange contraste avec la rigueur des traditions de l’école byzantine, conservées presque intactes jusqu’à nos jours[2]. Dans le style aussi bien que dans le faire et les procédés des peintures produites en France pendant les XIe et XIIe siècles, on reconnaît exactement les enseignements de Denis, l’auteur grec du Guide de la peinture. Nous retrouvons les recettes de ce maître grec du XIe siècle dans le traité du moine Théophile[3] (XIIe siècle), et même encore dans l’ouvrage du peintre italien Cennino Cennini, qui vivait au XIVe siècle[4] ; mais si les artistes du moyen âge conservèrent longtemps les procédés fournis par l’école byzantine, ils s’affranchirent très-promptement des traditions hiératiques, disons-nous, et cherchèrent leurs inspirations dans l’observation de la nature. Toutefois (et cela est à remarquer), en donnant au style de leurs œuvres un caractère de moins en moins traditionnel, nos artistes occidentaux, surtout en France, surent laisser à leurs peintures une harmonie décorative jusque vers le milieu du XVe siècle, en maintenant le principe du dessin enlu-

  1. Liv. l, chap. III.
  2. Voyez à ce sujet le Manuel d’iconographie chrétienne, traduit du manuscrit byzantin : Le Guide de la peinture, par le docteur Paul Durand, avec une introduction et des notes de M. Didron. L’auteur de ce guide, Denis, vivait au XIe siècle. « Le canon suivant, » dit M. Didron dans une de ses notes (Introduction, p. VIII), du second concile de Nicée, comparé au passage de l’évêque de Mende, exprime à merveille la condition de dépendance où vivaient les artistes grecs… « Non est imaginum structura pictorum inventio, sed Ecclesiæ catholicæ probata legislatio et traditio. Nam quod vetustate excellit venerandum est, ut inquit divus Basilius. Testatur hoc ipsa rerum antiquitas et patrum nostrorum, qui Spiritu sancto feruntur, doctrina. Etenim, cum has in sacris templis conspicerent, ipsi quoque animo propenso veneranda templa exstruentes, in eis quidem gratas orationes suas et incruenta sacrificia Deo omnium rerum domino offerunt. Atqui consilium et traditio ista non est pictoris (ejus enim sola ars est), verum ordinatio et dispositio patrum nostrorum, quæ ædificaverunt. » (SS. Concil. Phil. Labbe, t. VII, Synod. Nicæna II, actio VI, col. 831 et 832.) De fait le concile de Nicée n’avait pas tout à fait tort, et les plus belles peintures byzantines connues sont incomparablement les plus anciennes.
  3. Diversarum artium schedula, publ. par M. le comte de l’Escalopier, 1843.
  4. Voyez l’édition de cet ouvrage donnée à Rome, en 1821, par le chevalier Giuseppe Tambroni.