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moulures, des colonnes et des chapiteaux, mais d’interpréter ces formes et de les faire entrer dans le domaine de la peinture. De fait, si l’on prétend modeler, par exemple, une arcature en pierre par des tons, admettant que l’on puisse produire quelque illusion sur un point, il est certain qu’en regardant ce trompe-l’œil obliquement, non-seulement l’illusion est impossible, mais ces surfaces qui n’ont pas de saillies, ces moulures et profils qui ne se soumettent pas aux lois de la perspective, produisent l’effet le plus désagréable. Le trompe-l’œil, dans ce cas, est une satisfaction puérile que se donne le peintre à lui-même, considérant l’objet qu’il veut rendre sur un point ; il ne fait pas une peinture décorative, mais seulement un tour d’adresse. La belle antiquité et le moyen âge n’ont pas compris de cette manière la peinture décorative. Les peintres du XIIIe siècle voulaient-ils décorer un soubassement par une arcature que l’architecte n’avait pu obtenir en réalité, ils interprétaient les formes architectoniques de cette manière (fig. 15[1]). À l’aide de couchés à plat en ocre jaune et de dessins brun rouge sur fond blanc, ils obtenaient une décoration très-riche, très-facile à exécuter, peu dispendieuse, et qui, en réalité, produit un effet beaucoup plus décoratif que ne pourrait le faire une peinture en trompe-l’œil. Ici les tympans entre les arcs, et les voiles tendus, ainsi que le filet J, sont couchés en ocre jaune ; tout le reste de l’arcature, ainsi que les redessinés et bordures des voiles, les ornements des tympans, est en brun rouge ; le fond est blanc laiteux. Ces procédés si simples, que l’on peut faire employer par les ouvriers les plus ordinaires, expliquent comment la peinture s’appliquait alors aussi bien à des édifices modestes qu’à des chapelles et à des salles somptueuses. Supposons le fond de cette arcature en bleu intense, les formes en or redessinées de noir, les voiles et tympans pourpre clair ou vert clair avec damasquinage d’or, et nous aurons un soubassement d’une extrême richesse, qui cependant ne présentera aucune difficulté d’exécution. Dans la peinture modeste comme dans la peinture somptueuse, nous aurons une dose égale d’art ; cela, en vérité, vaut mieux que les marbres peints, et l’apparence grossière et barbare de la richesse que l’on cherche généralement dans la peinture décorative, en essayant, sans jamais y parvenir, bien entendu, à tromper le spectateur sur la valeur réelle de l’objet décoré. Nous avons conservé quelques restes de ces bonnes traditions dans nos papiers peints. Aussi se vendent-ils dans le monde entier comme des œuvres d’art.

On a vu précédemment que les verrières très-colorées avaient imposé une grande variété et une grande intensité de tons dans la peinture murale, ainsi que l’appoint de l’or. Mais des raisons d’économie ne permettaient pas toujours d’adopter résolûment cette harmonie compliquée que l’on ne pouvait obtenir qu’avec des ressources étendues. Il est intéressant de voir comment les artistes se sont tirés d’affaire en pareil

  1. Traces d’une arcature peinte, abbaye de Fontfroide.