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cette figure délicatement modelée. À coup sûr, rien dans cette tête ne rappelle la statuaire grecque comme type. C’est une physionomie toute française, qui respire la franchise, la grâce audacieuse et la netteté de jugement. L’auteur inconnu de cette statue voyait juste et bien, savait tirer parti de ce qu’il voyait et cherchait son idéal dans ce qui l’entourait. D’ailleurs, habile praticien, — car rien ne surpasse l’exécution des bonnes figures de cette époque — son ciseau docile savait atteindre les délicatesses du modelé le plus savant.

Si impuissante que soit une gravure sur bois à rendre ces délicatesses, nous espérons néanmoins que cette copie très-imparfaite engagera les statuaires à jeter en passant les yeux sur l’original.

Nous trouvons toutes ces qualités dans les bas-reliefs du portail Sud de Notre-Dame de Paris qui représentent la légende de saint Étienne et qui datent de la même époque (1257). La composition et l’exécution de ces bas-reliefs les placent parmi les meilleures œuvres du milieu du XIIIe siècle.

Il faut citer encore parmi les bons ouvrages de statuaire du milieu du XIIIe siècle, quelques figures tombales des églises abbatiales de Saint-Denis[1], de Royaumont ; les apôtres de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris ; certaines statues du portail occidental de Notre-Dame de Reims et des porches de Notre-Dame de Chartres[2]. Il résulte toutefois de cet examen qu’alors, sous le règne de saint Louis, la meilleure école de statuaire était celle de l’Île-de-France. On ne trouve pas une figure médiocre dans la statuaire de Notre-Dame de Paris, tandis qu’à Amiens, à Chartres, à Reims, au milieu d’œuvres hors ligne, on en rencontre qui sont très-inférieures, soit comme style, soit comme exécution. À Reims particulièrement, les ébrasements des portes du nord sont décorés de statues du plus mauvais travail ; sauf deux ou trois qui sont bonnes. L’école de l’Île-de-France tenait la tête alors et la ville de Paris était la capitale des travaux intellectuels et d’art, comme elle était déjà la capitale politique. Ce n’est pas à dire que les autres écoles n’eussent pas leur valeur ; l’école champenoise, l’école picarde et l’école bourguignonne fournissaient alors une belle carrière, possédaient leur caractère particulier. L’école rhénane qui avait jeté déjà au XIIe siècle un vif éclat, se distinguait entre les précédentes par une tendance prononcée vers la manière, l’exagération, la recherche. Moins pénétré du beau idéal, elle inclinait vers un réalisme souvent près de la laideur. Cette disposition de l’école rhénane a eu sur les opinions que l’on se fait de la statuaire du moyen âge une fâcheuse influence. Comme nous sommes naturellement portés en France à considérer les œuvres d’art en raison directe de la distance où elles se trou-

  1. Voyez le Recueil de photographies d’après les monuments de l’église abbatiale de Saint-Denis, publié par M. Fichot.
  2. Voyez la Monographie de la cathédrale de Chartres, publiée par Lassus, sous les auspices du Ministre de l’Instruction publique.