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[sculpture]
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L’unité manque dans l’École toulousaine, dans celle de l’Auvergne et du Quercy. Elle se retrouve davantage dans l’École poitevine, mais quelle lourdeur, quelle monotonie et quelle confusion, en comparaison de ces compositions déjà claires et bien écrites du roman de l’Île-de-France vers 1135 !

Veut-on un exemple, examinons ces fûts de colonnettes qui, au portail occidental de Notre-Dame de Chartres, séparent les statues. Ces fûts sont couverts de sculptures dans toute leur longueur, et datent de 1135 environ (fig. 45). Si la composition de ces entrelacs est charmante, bien entendue, sans confusion, à l’échelle de tout ce qui se trouve à l’entour, l’exécution en est parfaite. Les petits personnages qui grimpent dans les rinceaux sont dans le mouvement, largement traités, s’arrangent avec l’ornementation de manière à ne pas détruite l’unité de l’effet général.

Où les sculpteurs français avaient-ils pris ces exemples ? Partout et nulle part… Partout, puisque depuis l’époque romaine on avait souvent sculpté des fûts de colonnes, notamment dans les Gaules, puisque dans les provinces de l’Est, avant cette époque, des fûts de colonnes étaient décorés. Nulle part, parce que dans cette sculpture de fûts antiques ou du moyen âge on ne retrouve ce principe neuf, d’un réseau ronde-bosse, enveloppant la colonne comme le ferait une branche tordue à l’entour.

Des ustensiles rapportés d’Orient, des manches d’ivoire, de bois, pouvaient avoir donné au sculpteur chartrain l’idée de cette gracieuse décoration ; mais le style de l’ornementation et l’exécution lui appartiennent. Remarquons que ces colonnettes placées entre des statues d’un travail simple comme masses, sinon comme détails, font admirablement ressortir la statuaire en formant, dans les intervalles qui les séparent, comme une riche tapisserie modelée.

Mais ce qui, à cette époque déjà, distingue l’école du domaine royal de toutes les autres écoles romanes de la France, c’est l’entente parfaite de l’échelle dans l’ornementation. De Toulouse à la Provence, du Lyonnais au Poitou, sur la Loire et en Normandie, à Vézelay même, l’ornementation, souvent très-remarquable, est bien rarement à l’échelle du monument. Rarement encore y a-t-il concordance d’échelle entre les ornements d’un même édifice. Ainsi verrons-nous à Saint-Sernin de Toulouse des chapiteaux couverts de détails d’une délicatesse extrême à côté de chapiteaux dont les masses sont larges. À Vézelay, où la sculpture est si belle, nous signalerons aux portes latérales de la nef, des archivoltes dont les ornements écrasent tout ce qui les entoure, des chapiteaux délicats couronnés par des tailloirs dont la sculpture est trop grande. En Provence, ce sont des détails infinis sur des moulures dont l’effet est détruit par le voisinage d’une lourde frise. L’exemple de la porte de Saint-Ursin à Bourges (fig. 42) donne exactement l’idée de ce manque d’observation dans les rapports d’échelle de l’ornementation. Ces défauts considérables sont évités dans le roman développé du domaine royal, et c’est ce qui en fait déjà un art supérieur, car il ne suffit pas qu’un ornement soit