Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[restauration]
— 26 —

fice du même temps, fera une tache si vous le transportez sur un autre. Tel profil pris sur un petit édifice jurera appliqué à un grand. C’est d’ailleurs une erreur grossière de croire qu’un membre d’architecture du moyen âge peut être grandi ou diminué impunément. Dans cette architecture, chaque membre est à l’échelle du monument pour lequel il est composé. Changer cette échelle, c’est rendre ce membre difforme. Et à ce sujet nous ferons remarquer que la plupart des monuments gothiques que l’on élève à neuf aujourd’hui reproduisent souvent à une autre échelle des édifices connus. Telle église sera un diminutif de la cathédrale de Chartres, telle autre de l’église Saint-Ouen de Rouen. C’est partir d’un principe opposé à celui qu’admettaient, avec tant de raison, les maîtres du moyen âge. Mais si ces défauts sont choquants dans des édifices neufs et leur enlèvent toute valeur, ils sont monstrueux lorsqu’il s’agit de restaurations. Chaque monument du moyen âge a son échelle relative à l’ensemble, bien que cette échelle soit toujours soumise à la dimension de l’homme. Il faut donc y regarder à deux fois lorsqu’il s’agit de compléter des parties manquantes à un édifice du moyen âge, et s’être bien pénétré de l’échelle admise par le constructeur primitif.

Dans les restaurations, il est une condition dominante qu’il faut toujours avoir présente à l’esprit. C’est de ne substituer à toute partie enlevée que des matériaux meilleurs et des moyens plus énergiques ou plus parfaits. Il faut que l’édifice restauré ait passé pour l’avenir, par suite de l’opération à laquelle on l’a soumis, un bail plus long que celui déjà écoulé. On ne peut nier que tout travail de restauration est pour une construction une épreuve assez dure. Les échafauds, les étais, les arrachements nécessaires, les enlèvements partiels de maçonnerie, causent dans l’œuvre un ébranlement qui parfois a déterminé des accidents très-graves. Il est donc prudent de compter que toute construction laissée a perdu une certaine partie de sa force, par suite de ces ébranlements, et que vous devez suppléer à cet amoindrissement de forces par la puissance des parties neuves, par des perfectionnements dans le système de la structure, par des chaînages bien entendus, par des résistances plus grandes. Inutile de dire que le choix des matériaux entre pour une grande part dans les travaux, de restauration. Beaucoup d’édifices ne menacent ruine que par la faiblesse ou la qualité médiocre des matériaux employés. Toute pierre à enlever doit donc être remplacée par une pierre d’une qualité supérieure. Tout système de cramponnage supprimé doit être remplacé par un chaînage continu posé à la place occupée par ces crampons ; car on ne saurait modifier les conditions d’équilibre d’un monument qui a six ou sept siècles d’existence, sans courir des risques. Les constructions, comme les individus, prennent certaines habitudes d’être avec lesquelles il faut compter. Ils ont (si l’on ose ainsi s’exprimer) leur tempérament, qu’il faut étudier et bien connaître avant d’entreprendre un traitement régulier. La nature des matériaux, la qualité des mortiers, le sol, le système général de la structure par points d’appui verti-