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phin, suivant qu’ils pensent y trouver gloire ou profit. Ou encore à la tête de quelques hommes d’armes, ils tiennent la campagne, pillent le pays, se souciant assez peu des Bourguignons ou des Armagnacs. Au contraire, les Anglais et les Bourguignons avaient des armées bien munies, bien approvisionnées. Ils prenaient villes et châteaux, soit de vive force, soit à la suite de sièges poursuivis avec persistance. Ce n’était plus le temps du bon connétable du Guesclin, qui savait si bien maintenir la discipline parmi ses troupes et ne souffrait point de négligences. Qui d’ailleurs pouvait avoir confiance en ces seigneurs faméliques, arrogants, ne se soumettant plus à la dure existence des camps, préoccupés de leur bien-être et de se ménager des accointances dans tous les partis, ruinant les pays qu’ils eussent dû protéger, toujours prêts à trahir ou tout au moins à abandonner une entreprise ?

« Que diray-je doncques de nous ? » écrit maître Alain Chartier[1], « ne quelle espérance pourray-je prendre en nos entreprinses et armées, se discipline de chevalerie et droicturière justice d’armes n’y sont gardées ? Autre chose ne se puet dire, fors que en ce cas nous allons comme la nef sans gouvernail, et comme le cheval sans frein… car chacun veult estre maistre du mestier, dont nous avons encores peu de bon apprentis. Tous peuent à peine souffire à grever par guerre les ennemis, mais chacun veult faire compaignie et chief à par soy. Et tant y a de chevetains (capitaines) et de maistres, que à peine trouvent-ils compaignons ne varletz… Maintenant sçavoir ceindre l’espée, et vestir le haulbergeon, souffist à faire un nouveau capitaine. Or advient que sont faictes entreprinses, ou sièges assis, où le ban du Prince est crié, et le jour souvent nommé pour les champs tenir. Mais plusieurs y viennent pour manière, plus que pour doubte de y faillir ; et pour paour d’avoir honte et reproche, plus que pour vouloir de bien faire. Et si est en leur chois le tost ou le tard venir, le retour ou la demeure. Et de telz en y a, qui tant ayment les ayses de leurs maisons plus que l’honneur de noblesse dont ilz les tiennent, que lors qu’ilz sont contrains de partir, voulentiers les portassent avec eulx ; comme les lymaz qui toujours trainent la coquille où ils herbergent… Ceste ignorance ou faulte de cueur est cause des durtez et rapines, dont le peuple se complaint. Car en deffault de ceulx dont on se devroit aider, a fallu prendre ceulx qu’on a peu finer et faire la guerre de gens acquis par dons et par prieres, au lieu de ceulx que leur devoir et leaulté y semonnoit. Si est faicte la guerre par gens sans terre et sans maisons, ou la greigneur part, que necessité a contrains de vivre sur autruy ; et nostre besoing nous a convaincus à le souffrir… Et quand les vaillans entrepreneurs, dont mercy Dieu encores en a en ce royaulme de bien esprouvez, mettent peine de tirer sur champs les nobles pour aucun

  1. Le Quadrilogue invectif, édition d’André Duchesne, 1617. Alain Chartier fut secrétaire des rois Charles VI et Charles VII.