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posséderont le style qui feront pénétrer chez le spectateur l’impression qu’ils ont ressentie. Le poëte, le peintre, le sculpteur, éprouvent des sensations vives, promptes et claires ; mais ces sensations, procédant de l’extérieur, ne sont qu’une empreinte ; cette empreinte, avant de prendre une forme d’art, subit une sorte de gestation dans le cerveau de l’artiste, qui peu à peu se l’assimile, en fait une création du second ordre qu’il met au jour à l’aide du style. Si cette faculté d’assimilation fait défaut au poëte, au peintre, au sculpteur, leurs œuvres ne sont que le reflet d’une sensation émoussée, et ne produisent aucune impression.

Pour l’architecte, comme pour le musicien, le phénomène psychologique est différent. Ces artistes ne reçoivent pas directement d’une scène, d’un objet ou de la nature, une sensation propre à se transformer en œuvre d’art. C’est de leur cerveau que doit sortir cette œuvre, c’est leur faculté de raisonner qui la fait naître à l’état embryonnaire, qui la développe en la nourrissant d’une série d’observations empruntées à la nature, à la science et à des créations antérieures. Si l’architecte est un artiste, il s’assimile cette nourriture qu’il va chercher de tous côtés pour développer sa conception ; s’il ne l’est pas, son œuvre n’est qu’un amas d’emprunts dont il est aisé de reconnaître l’origine : elle manque de style.

Le style est, pour l’œuvre d’art, ce que le sang est pour le corps humain ; il le développe, le nourrit, lui donne la force, la santé, la durée ; et comme on dit : le sang humain, bien que chaque individu ait des qualités physiques et morales différentes, on doit dire : le style, quand il s’agit de cette puissance qui donne un corps et la vie aux œuvres d’art, bien que chacune de ces œuvres ait un caractère propre.

Nous n’avons pas ici à apprécier jusqu’à quel point la peinture, la sculpture et la poésie sont des arts d’imitation inspirés directement par des effets en dehors de nous et dont nous sommes les témoins. Il suffit de dire — ce que personne ne contestera, pensons-nous — que l’architecture n’est point un art d’imitation ; les effets extérieurs ne peuvent avoir sur son développement qu’une influence secondaire. L’art de l’architecture est une création humaine ; mais telle est notre infériorité, que, pour obtenir cette création, nous sommes obligés de procéder comme la nature dans ses œuvres, en employant les mêmes éléments, la même méthode logique ; en observant la même soumission à certaines lois, les mêmes transitions. Le jour où le premier homme a tracé sur le sable un cercle à l’aide d’une baguette pivotant sur un axe, il n’a pas inventé le cercle, il a trouvé une figure éternellement existante. Toutes ses découvertes en géométrie sont des observations, non des créations ; car les angles opposés au sommet n’ont pas attendu que l’homme eût constaté leur propriété pour être égaux entre eux.

L’architecture, cette création humaine, n’est donc, de fait, qu’une application de principes qui sont nés en dehors de nous et que nous nous approprions par l’observation. La force d’attraction terrestre existait, nous en avons déduit la statique. La géométrie tout entière existait