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une certaine largeur d’entre-colonnement, — car on ne pouvait poser des plates-bandes de 10 mètres de portée, — il était logique de conserver à la colonne une épaisseur qui fût dans un rapport de… avec cet entre-colonnement, et par suite avec sa hauteur ; mais la portée de l’arc étant presque indéfinie, il eût été illogique de définir l’épaisseur de la colonne par rapport à sa hauteur ou à l’entre-colonnement. Aussi, dans l’architecture du moyen âge, ce qui donne les proportions relatives de la colonne, c’est le poids et l’action de ce qu’elle supporte ; et si ces rapports sont exacts, la colonne a du style.

Rien n’est plus satisfaisant, plus parfait que cet ordre dorique du Parthénon, et certes les artistes qui ont obtenu des rapports proportionnels si vrais ont tâtonné longtemps. Mais cet organisme a une limite très-bornée comme étendue et comme emploi. Franchissant cette limite, il faut trouver un autre organisme. L’autre, c’est l’adoption de l’arc et de la voûte ; par suite, de nouveaux rapports entre les pleins et les vides : donc, un système harmonique différent. Croire que le beau, que le style sont irrévocablement attachés à une forme, qu’ils l’ont pour ainsi dire épousée, et que toutes les autres formes ne peuvent plus être que dans des rapports illégitimes avec le beau, avec le style, ce sont là des idées d’écoles qu’il est peut-être bon de développer entre quatre murailles, mais qui s’effacent en présence de la nature. La nature ne se fixe ni ne s’arrête jamais, et la limite que certains esprits prétendent assigner au beau, au style, nous rappelle toujours, — qu’on nous passe la comparaison, — ce point des cadrans de baromètres au-dessus duquel beau fixe est inscrit, probablement parce que l’aiguille ne s’y arrête pas plus que sur les autres. Le ciel tempétueux, le vent dans les bois, sur la mer, les nuées déchirées par l’orage, les brumes, ont leur beauté et leur style tout comme l’azur profond d’une chaude journée d’été. Au point où nous devons nous placer, ne considérant que la question d’art, le beau, le style, ne résident pas dans une seule forme, mais dans l’harmonie de la forme en vue d’un objet, d’un résultat. Si la forme indique nettement l’objet et fait comprendre à quelle fin cet objet est produit, cette forme est belle, et c’est pourquoi les créations de la nature sont toujours belles pour l’observateur. La juste application de la forme à l’objet et à son emploi ou sa fonction, l’harmonie qui préside toujours à cette application, nous saisissent d’admiration devant un chêne comme devant le plus petit insecte si bien pourvu. Nous trouverons du style dans le mécanisme des ailes de l’oiseau de proie, comme nous en trouverons dans les courbures du corps du poisson, parce qu’il ressort clairement de ce mécanisme et de ces courbes si bien tracées que l’un vole et l’autre nage. Il ne nous importe guère, après cela, que l’on vienne nous dire que l’oiseau a des ailes pour voler, ou qu’il vole parce qu’il a des ailes. Il vole, et ses ailes sont une machine parfaite lui permettant de voler. La machine est l’expression exacte de la fonction qu’elle remplit ; nous autres artistes, nous n’avons pas besoin d’aller plus loin.