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affinité avec les arts de ces temps, à un édifice élevé d’après une donnée toute moderne. Certes, la connaissance, l’étude et même l’emploi de partis décoratifs d’une époque antérieure à la nôtre, peuvent être recommandés, mais ce n’est point là dedans que le style se manifeste. Le style réside bien plus dans les lignes principales, et dans un ensemble harmonique de proportions, que dans le vêtement dont on couvre une œuvre architectonique. De même, dans l’œuvre du peintre, le style se manifeste dans le choix des lignes, dans l’ensemble de la composition, dans la vérité du geste, bien plus que dans la recherche archaïque de certaines draperies, dans l’exactitude des vêtements et des accessoires. Il est singulier que cette vérité, incontestée s’il s’agit de la peinture ou de la sculpture, soit à peine entrevue s’il s’agit de l’architecture. Cela nous prouve combien on ignore généralement les lois les plus élémentaires de cet art, et combien on en a faussé les principes les plus naturels.

Le moyen âge fut en progrès sur l’antiquité par certains côtés ; c’est par ces côtés qu’il faut lui ressembler. Il mit l’idée par-dessus toute doctrine ou tradition ; il poursuivit l’idée avec fanatisme, aveuglément souvent. Mais poursuivre une idée même folle, même impossible à réaliser, ce n’est point tourner le dos au progrès. Les alchimistes, qui cherchaient la pierre philosophale, ouvrirent la voie à la chimie. Les nobles et vilains qui se précipitaient en Orient à la suite de Pierre l’Ermite firent faire un pas immense à la civilisation, et aux arts notamment. La chevalerie elle-même, si fort raillée, jeta les semences de ce que nous avons conservé de meilleur dans notre société. Saint François d’Assise était un amant passionné de la nature, de la création, passait des heures en contemplation devant une fleur ou un oiseau ; il se regardait comme une partie d’un Tout, et ne séparait pas l’homme du reste de l’univers. L’antiquité ne nous montre rien de pareil : chez les Égyptiens et les Grecs, encore moins chez les Romains, n’y a-t-il d’alchimistes, de batailleurs se mettant en campagne à la suite d’une idée, de chevaliers ou de saint François d’Assise. L’étroit égoïsme de l’homme antique se peint dans les arts de l’Égypte, de la Grèce. C’est parfait, c’est complet, c’est exact, c’est clair, mais c’est fini. Ces arts n’ont pas de par delà, et s’ils nous émeuvent, c’est parce que notre imagination d’hommes modernes nous reporte aux choses et aux événements dont ces monuments ont été les témoins. Il faut être instruit pour jouir réellement de la vue d’un monument antique, pour ressentir une émotion devant ces œuvres qui ne promettent rien au delà de ce qu’elles montrent ; le plus pauvre monument du moyen âge fait rêver, même un ignorant. Que l’on ne s’y trompe pas, nous ne prétendons nullement établir ici de comparaisons en faveur de l’un ou de l’autre de ces arts ; nous ne plaidons pas, nous cherchons à faire ressortir les qualités qui distinguent ces arts, et de quels éléments les uns et les autres ont tiré le style dont ils sont pénétrés. Le jour où chacun sera convaincu que le style n’est que le parfum naturel, non cherché, d’un principe, d’une idée suivie conformément à l’ordre logique des