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[unité]
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L’unité n’existe qu’autant qu’il y a relation intime entre l’architecture et l’objet. Un temple dorien présente un type de l’unité architectonique ; mais, si vous faites d’un temple dorien une bourse ou une église, l’unité est détruite : car, pour approprier cet édifice à une destination autre que celle pour laquelle on l’a élevé, il faut torturer ses dispositions, détruire ce qui constitue son unité.

Nous ne saurions trop le répéter, ce n’est qu’en suivant l’ordre que la nature elle-même observe dans ses créations que l’on peut, dans les arts, concevoir et produire suivant la loi d’unité, qui est la condition essentielle de toute création. Si, dans l’ordre des choses créées, on a cru voir parfois des déviations au principe de l’unité, l’étude plus approfondie a fini toujours par faire connaître que l’exception, au contraire, confirme la règle ; et c’est une des gloires de la science moderne d’avoir rattaché de plus en plus, par l’observation, l’organisme universel à la loi d’unité, ce qui ne fait pas et ne peut faire que cet organisme ne soit varié à l’infini.

Nous disons : en architecture, procédez de même ; partez du principe un, n’ayez qu’une loi, la vérité ; la vérité toujours, dès la première conception jusqu’à la dernière expression de l’œuvre. Nous ajoutons : voici un art, l’art hellénique, qui a procédé ainsi à son origine et qui a laissé des ouvrages immortels ; voilà un autre art, sous une autre civilisation, la nôtre, sous un autre climat, le nôtre, l’art du moyen âge français, qui a procédé ainsi à son origine et qui a laissé des ouvrages immortels. Ces deux expressions de l’unité sont cependant dissemblables. Il faut donc, pour produire un art, procéder d’après la même loi.

Avec cette persistance aveugle, qui donne souvent au défaut de compréhension les allures de la mauvaise foi, on nous répète : Vous prétendez nous faire adopter aujourd’hui les formes admises par les maîtres du moyen âge ; et pourquoi celles-là plutôt que d’autres ? toutes nous sont bonnes, toutes peuvent nous servir, car elles sont toutes du domaine de l’humanité. Nous répondons : L’objection part d’une pensée première à laquelle l’analyse fait défaut. Depuis le XVIe siècle, nous avons pris en France des formes produites en architecture par l’application du principe d’unité, dans certains milieux, pour l’unité même, sans recourir à la loi d’où découlaient ces formes. On a cru remplir les conditions d’unité parce qu’on adoptait plus ou moins fidèlement certaines formes des architectures antérieures à notre temps, formes qui étaient les conséquences du principe d’unité, mais qui, par cela même qu’elles étaient les conséquences d’un principe, ne sont pas le principe. Ceux qui ont pris l’habitude de procéder ainsi, c’est-à-dire de prendre la forme sans tenir compte du principe qui l’avait fait éclore, ne sauraient admettre qu’on puisse procéder autrement ; et, nous voyant étudier et analyser les applications de la loi générale faite par les maîtres du moyen âge, ils admettent que nous devons procéder ainsi qu’eux-