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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

— Je ne laissai donc rien paraître de mes sentiments, mais je ne cessai d’épier ma cousine, de noter ses démarches, ses silences distraits, ses yeux baissés et rougis… Un jour je la suivis dans la galerie du château, celle des fresques mythologiques où je suis représentée en Pallas. J’entendis des soupirs, des murmures, des sanglots. Cachée derrière une draperie, je les vis. Le front de Marie était blotti sur l’épaule de Magnus. Quant à lui, il me faisait face. Il tenait la petite serrée contre sa poitrine, cette large et dure poitrine où je m’étais sentie si heureuse, et, soulevant le menu visage ruisselant, le couvrait de baisers.

Je l’entendis murmurer : « Mais tu sais bien que c’est toi que j’aime, que j’aimerai toujours ! » Ses yeux n’avaient point cette lueur de triomphe, un peu cruelle, dont je gardais l’image. Ni le luisant du désir. Pleins de larmes, ils étaient empreints d’une tendresse si profonde et si douce que je n’en pus supporter plus longtemps la vue. Je m’enfuis…

— Oh ! Christine !

— Oui, pauvre Christine ! Une fois de plus, la malédiction des reines s’abattait sur ma tête. Ce n’était point Christine qu’aimait ce jeune ambitieux mais la souveraine, la dispensatrice des prébendes et des honneurs, et il lui sacrifiait sinon sans peine, du moins sans hésitation, son premier amour. Bien plus profondément que pour Charles-Gustave, mon amour à moi était blessé à mort. Je ne pourrais donc jamais être aimée ? Pendant les nuits d’angoisse où je sanglotais dans mon lit de brocart, roulant ma tête dans les coussins brodés d’or, déjà le désir de l’abdication se glissait dans mon esprit.

— Il y a près de sept ans… Déjà ?

— Oui. En même temps, mon orgueil offensé piétinait les restes d’une passion qui avait failli m’entraîner. Et pendant la journée j’avais le courage de rester calme et digne.

« Magnus arrivé à Paris, mon ami Chanut, l’ambassadeur, qui s’y trouvait en congé, pensant me plaire, me narrait dans ses lettres les succès de mon protégé. Il était de toutes les cérémonies de la Cour, de tous les divertissements. Partout on lui faisait fête. Le Cardinal l’avait reçu en audience particulière, et en grand apparat, avec un luxe extraordinaire de gardes et de pages, ouvrant pour lui les salles