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le secret de la reine christine

— Préparez, préparez, Comte ! Et partez, vous et mes autres gentilshommes, comme vous voudrez et quand vous voudrez… Pourvu que vous soyez dans un mois à Hambourg où je vous retrouverai, peu m’importe le reste ! Au revoir, mon cher Comte !

Et le laissant immobile, frappé de stupeur, Christine alerte et preste, lui tourna le dos, puis cria gaîment :

— Et maintenant je veux vivre en homme !



Trois jours plus tard, Christine n’était pas moins ravie. Elle s’était mise en route par un matin charmant. Une joie inouïe carillonnait à travers la campagne. Les toits du château qu’elle venait de quitter brillaient. Les troupeaux sortaient et chaque vache égrenait en trottant la note unique de sa clochette. Elle jouissait en enfant sans souci des mille incidents de la route, bavardant gaîment avec ses valets, riant aux boutades du jeune Provençal, Clairet Poissonnet.

Pourtant ce n’était pas encore la pleine évasion. Elle se trouvait toujours dans son ancien royaume. Les trois dernières nuits, elle les avait passées dans des châteaux où ses nobles hôtes, respectant son caprice et son incognito, l’avaient néanmoins reconnue et traitée en souveraine. Combien il lui tardait de rompre ces derniers liens, d’arriver en Danemark où elle serait ignorée de tous !

Elle venait de déjeuner dans une clairière de la forêt : des œufs, une aile de poulet, quelques fruits, le tout arrosé d’un verre de capiteux Châteauneuf-du-Pape dont Clairet avait tiré de ses fontes une vénérable bouteille. Elle était un peu grise, d’autant plus joyeuse.

— C’est mon « pays », le cuisinier du château d’Upsal, qui m’en a fait cadeau, Madame…

— Madame ? Attention, Clairet !

— Pardon, Monsieur ! Que voulez-vous ? On s’y perd !

— Il me semble que je n’ai jamais vu ce vin-là sur ma table.