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le secret de la reine christine

laissa tomber un plat qu’elle tenait devant elle, et saisissant ses cotillons à deux mains, s’ensauva, comme si elle avait le diable aux trousses.

« Mon Clairet fit donc un tour aux cuisines pour savoir de quoi il retournait. Et qu’apprit-il ? Cette servante, Ebba, était la reine de Danemark qui, prévenue de mon passage et de mon déguisement, et se trouvant en séjour dans le voisinage, avait voulu me voir sans être connue de moi. Shakespeare n’a-t-il point traité quelque sujet de ce genre ? Pour moi, je vais incontinent quitter ces lieux.

« Conservez-moi votre souvenir et ne troublez pas la douceur de la félicité dont je jouis par un injuste oubli de la personne du monde qui vous honore le plus.

« Adieu, Belle, souvenez-vous de votre

« CHRISTINE ».


Au moment où elle apposait sa signature, elle vit surgir Jean Holm auquel elle avait donné, en même temps qu’à Clairet, ses instructions pour la poursuite du voyage. Elle avait dû leur expliquer que les deux gentilshommes italiens seraient désormais attachés à sa personne et comment elle les avait trompés par une fable ingénieuse.

Jean Holm avait le visage plus long, plus jaune que jamais. Regardant tout autour de lui pour s’assurer que personne ne l’écoutait :

— Madame, fit-il avec une profonde révérence, je viens demander à Votre Majesté la permission de retourner à Stockholm.

— Comment, Jean, tu veux me quitter ? Toi qui m’as vue naître, toi ?

Deux larmes coulèrent le long des rides de la triste figure. Puis, se prenant la tête à deux mains :

— Ah ! Madame ! gémit le pauvre homme. Un étranger ! Un papiste ! Vous ! Est-ce possible ?

Christine était si joyeuse qu’elle éclata de rire :

— Rentre à Stockholm si tu y tiens, mon vieux Jean. Mais, ne me fais pas cette tête-là ! Ne vois-tu donc point, mille diables, que je suis la plus heureuse des femmes ?