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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Mais le Grand Justicier Per Brahe qu’elle n’avait point encore aperçu, s’avançait vers elle dans sa longue robe de velours écarlate, s’efforçant de redresser sa taille courbée. Il la tint un instant sous son regard avec une émotion qui lui enlevait la parole et embuait de larmes ses prunelles usées. Enfin, d’une voix chevrotante :

— Je ne puis plus espérer, Madame, dit-il, fléchir une résolution qui nous plonge dans la douleur. Je veux seulement vous rappeler une fois encore que, depuis le jour de votre majorité, nous, vos conseillers, ainsi que le peuple entier, vous avons fidèlement servie et secondée ; de votre côté, le jour de votre couronnement, n’aviez-vous pas juré devant Dieu de régner sur ce peuple, conformément aux lois suédoises ? Le lien entre un roi et son pays n’est-il pas plus indissoluble encore que celui qui unit deux époux ? Royauté oblige, Madame… Vous ne nous avez donné pour rompre ce lien aucune raison valable. Puissiez-vous ne pas regretter un jour une décision qui vous dresse à la fois contre Dieu, votre serment, votre qualité de souveraine et les droits du peuple !

La voix était si pathétique qu’un frémissement courut sur l’assemblée, tandis que les lèvres du visage immobile de Christine s’entr’ouvraient et tremblaient. Mais elle se borna à s’incliner légèrement, tandis que le Grand Justicier s’éloignait d’un pas chancelant.

Puis l’orateur des paysans, le vieux danneman Larsson se levait à son tour, tout renfrogné entre ses cheveux et sa barbe en broussaille, et montait lourdement sur l’estrade.

— Par Dieu ! qu’avez-vous fait, Mademoiselle ? fit-il d’un ton rude. Je vous revois à six ans. Nous autres, nous ne voulions pas de ce bout de fille sur le trône des Vasa. Mais vous vous teniez si gaillarde et hardie, vos petits pieds trottaient si ferme sous votre cotillon de velours noir que cela fit notre conquête. Nous avons reconnu le nez courbe, les yeux qui lançaient des éclairs, le grand front de votre père Gustave-Adolphe. C’était un brave homme et un bon roi, qui s’est beaucoup démené pour la Suède à travers le monde et nous lui avons obéi et l’avons aimé pendant sa vie. Quand vous nous avez souri comme lui, j’ai été le premier à crier : « Vive notre roi Christine ! », je vous ai prise dans mes bras légère comme un