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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

redevenue une jeune fille comme les autres, descendit lentement les trois degrés du trône et s’avançant au bord de l’estrade, longuement, tendrement, contempla de ses yeux de velours tous ces hommes qui déjà n’étaient plus ses sujets.

— Comme elle est belle ! entendait-on de toutes parts.

— Belle comme un ange !

— Mais c’est vrai, pas si mal que ça ! fit avec condescendance le jeune Italien, en frisant sa moustache et en décochant des œillades dans le vide, oubliant que Christine ne pouvait l’apercevoir.

— Elle est même mieux que ça ! commenta son compagnon. Je te trouve, marquis, bien dégoûté !

Enfin, de sa belle voix basse aux notes émouvantes, Christine parla :

— Messieurs du Conseil d’État, et vous, mes anciens ministres, qui m’avez été d’un si puissant, d’un si secourable appui, vous, Messieurs les députés des quatre États que j’ai toujours trouvés fidèles dans mes difficultés, dans mes peines comme dans mes joies, et vous tous qui représentez ici le peuple de Suède que j’appelais mon peuple, vous qui n’êtes plus que mes amis, croyez bien que ce n’est pas sans déchirement que je me sépare de vous et de mon pays.

« Ce n’est pas sans longuement hésiter que j’ai pris cette décision qui me brise le cœur. J’y ai réfléchi huit ans sans avoir le courage de m’y résoudre. Aucun événement, aucun des arguments que vous m’avez opposés et dont j’ai su mesurer la force, n’ont pu modifier mon avis. J’ai disposé dans ce but toutes mes actions et je les ai menées à cette fin jusqu’à cette heure où je suis prête à achever mon rôle et à me retirer derrière la scène. Je sais que peu de personnes me jugeront favorablement et que beaucoup d’entre vous me jugent avec sévérité. Je m’inquiète fort peu des applaudissements mais vous chagriner me fait grand deuil. J’agis pourtant suivant ma conscience, pour le bien de la Suède, comme vous le reconnaîtrez par la suite. J’ai préféré la conservation de l’État à tout autre intérêt, comme j’ai tout consacré à son service…