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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

— Eh bien, quoi ? Que lui est-il arrivé ? s’écria la petite fille, inquiète.

— Elle a disparu, Madame, on l’a enlevée !

— Enlevée ?

Christine éclata de rire. À quatorze ans, pouvait-elle concilier l’image de sa mère à la trentaine plantureuse et molle, d’une mère qu’elle avait toujours connue abandonnée sur des coussins, diluée dans les larmes, avec une aventure d’amour ?

Et pourtant… Marie-Éléonore avait toujours sa démarche de déesse, ses épaules de cire blonde que caressaient de longues boucles nonchalantes, ses grands yeux pathétiques, sa douceur de brebis. Et Christian de Danemark était galant.

Elle s’évada à la pointe vermeille de l’aube. Une coquette petite chaloupe la cueillit sur le rivage. Enrubanné comme un pâtre d’églogue, un vaisseau de guerre attendait au large, se pavanait. L’amiral Éric Ottesen enleva dans ses bras la belle qu’avait laissé fuir l’autre homme de mer, son rival suédois ; il la posa douillettement à bord.

Le soleil brillait. La mer était d’un bleu poudré, infiniment suave. Les luths, les hautbois, les violes d’amour soupiraient doucement. Une table était dressée, couverte de fruits, de délicates sucreries, de flacons de vin doré.

Marie-Éléonore s’épanouissait comme une rose tardive. Après tant de deuils et tant de larmes, sa jeunesse était en passe de refleurir.

Au rivage danois, autre surprise ! Le roi lui-même attendait cette Héro qui pour lui bravait les flots et l’opinion. Il lui baisa dévotieusement les mains, la remerciant de daigner accepter son hospitalité, la complimenta sur sa fraîcheur, et, suivi d’un somptueux cortège, la conduisit en grande pompe au palais préparé pour son séjour.

Quel scandale à travers l’Europe ! Toutes les cours en jasèrent et s’en ébaudirent. Mais à Stockholm, ce fut de la crainte, de l’indignation. Christine elle-même fut consternée de fa fugue de sa mère.

— Elle nous a jetés, moi et le gouvernement, écrivit-elle à son oncle, dans une grande perplexité, nul ne sachant ce qu’il faut faire…

Pauvre Marie-Éléonore ! Ses vacances et peut-être ses amours ne