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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

ménageais point. Je pensais que, sans doute, il n’osait pas exprimer ses sentiments. J’appris alors, par des propos et des plaisanteries autour de moi, qu’il faisait maintes conquêtes parmi les filles d’Allemagne.

— Était-ce de grande importance ?

— Non, certes. J’étais trop instruite pour ne pas me montrer indulgente à ce genre d’escapades. La fleur de mes sentiments en fut néanmoins froissée. L’amour pour moi, c’était comme dans les romans de chevalerie que j’avais lus avec autant d’ardeur que les poèmes licencieux des latins et des grecs. C’était quelque chose de très ardent et de très pur. Quand il revint, je le trouvai plus distant, plus distrait. La délicieuse intimité de notre enfance avait vécu. Chaque fois pourtant qu’il me trouvait seule, c’était pour me supplier de l’autoriser à demander ma main. Une sorte d’instinct me poussait à lui répondre évasivement.

— Attends que je sois reine, lui disais-je. Nous sommes encore trop jeunes… ».

Je savais, en outre, par une indiscrétion de l’une de ses sœurs, qu’il entretenait une correspondance sentimentale avec une princesse allemande, une blonde aux belles tresses, à la peau de camélia mon contraire en tous points — et qu’il en parlait avec flamme… Cela, c’était plus grave.

— Oh ! Christine, comme vous avez dû souffrir !

— Pas tant que tu le crois. Car je n’avais pas pour mon cousin un véritable amour et je commençais à en prendre conscience. Je n’étais pas jalouse. Mais, pour la première fois, un doute affreux se glissa dans mon cœur où il devait faire tant de ravages. Je sentis que ce n’était pas moi qu’aimait Charles-Gustave mais ma couronne. Oui, comme tous ces prétendants inconnus dont on m’apportait les portraits soigneusement embellis… Je commençais à comprendre qu’une reine, ne peut pas être aimée comme une femme, une simple femme. Les reines sont les parias de l’amour !

— Oh ! Christine !

— De là vint mon aversion pour le mariage. Je réalisai que jamais, tant que j’aurais un trône à offrir, je ne pourrais croire à la tendresse désintéressée d’un homme, d’un mari…