Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/197

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Grecs triomphans. Je donne ensuite le signal du départ : Soudain, courbés sur l’aviron, les rameurs fendent à l’envi les eaux, et les nefs agiles volent sur les mers. Bientôt les tours altières des Phéaciens se perdent dans les nues. On côtoie les bords de l’Épire ; la Chaonie nous ouvre ses ports, et nous montons les hauteurs où Buthrote est assise.

Tout à coup un bruit étrange a frappé nos oreilles : « Là, dit-on, un fils de Priam, Hélénus, commande aux enfans de la Grèce ; il possède et le sceptre et la couche de Pyrrhus ; et la veuve d’Hector a retrouvé un époux Phrygien. » Frappé d’étonnement, je brûle d’entretenir le nouveau monarque, et d’admirer avec lui ces jeux bizarres du destin. Je laisse donc loin de moi la flotte et le rivage, et je m’avance dans la plaine. Ce jour-là même, près des portes de la ville, sous de pieux ombrages, aux bords d’un autre Simoïs, Andromaque offrait à la cendre d’Hector un sacrifice solennel et des présens funèbres. Elle évoquait les mânes de cet époux si cher, autour d’un vain cénotaphe, qu’elle orna de verdure, et pleurait aux pieds des deux autels qu’elle avait consacrés au deuil des tombeaux. À mon approche inattendue, à l’aspect des armes troyennes dont l’éclat subit l’épouvante, pâle et troublée comme à la vue d’un spectre, elle demeure immobile. Un froid mortel a glacé tous ses membres : ses forces l’abandonnent, elle tombe…. ; mais reprenant enfin par degrés la parole et la vie : « Est-ce une ombre, est-ce Énée que je vois, dit-elle ? Fils d’une déesse, respirez-vous encore ? Ah ! si vous revenez des ténébreuses demeures, où est mon