Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/255

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et ma main ! elle qui, dans ses murs d’un jour, reçoit pour époux et pour maître un vil Troyen ! Cependant ce nouveau Pâris, roi d’une cour efféminée, le front ceint d’une mitre nouée par la mollesse, et les cheveux parfumés d’essences, jouit en paix de sa conquête. Est-ce donc en vain que j’apporte à tes temples mon encens et mes dons ? Est-ce en vain que je m’honore de te devoir le jour ? »

Ainsi priait Iarbe ; et sa main touchait les autels. À cette voix connue, le roi des dieux tourne un œil courroucé sur les remparts de Carthage, sur ces lieux où languissent deux amans que l’amour arrache à l’honneur. Soudain s’adressant à Mercure, il lui dicte ces ordres : « Va, cours, mon fils ; appelle les zéphyrs, et vole sur les vents. Un indigne repos enchaîne, au sein de la nouvelle Tyr, le descendant d’Assaracus ; il oublie dans une folle ivresse l’empire que le sort lui destine : pars, fends les nues, et porte à son oreille les paroles de Jupiter. Est-ce là ce héros que nous avait promis la belle Cythérée, sa mère ? Est-ce pour de tels exploits que Vénus le sauva deux fois de la fureur des Grecs ? Il devait se montrer digne de régir l’Italie, la belliqueuse Italie, enceinte d’un peuple-roi, et mère un jour des conquérans du monde ; il devait, noble enfant de Teucer, en perpétuer la race illustre, et ranger sous ses lois l’immensité de l’univers. Si la gloire d’un pareil avenir n’enflamme point son courage, s’il craint de s’immoler lui-même aux soins de sa grandeur ; père injuste, enviera-t-il à son fils l’héritage de Rome ? Qu’attend-il ? quel espoir l’arrête