Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/269

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pas le sang de Dardanus, traître ! l’affreux Caucase t’engendra dans ses rochers sauvages, et ton enfance suça le lait des tigresses d’Hyrcanie. Car enfin qui m’arrête ? Quel plus noir outrage puis-je attendre ? A-t-il gémi de ma douleur ? m’a-t-il consolée d’un regard ? ai-je surpris dans ses yeux une larme de pitié ? a-t-il plaint seulement sa malheureuse amante ? Ô comble des affronts ! Et la reine des dieux reste calme ! et le fils de Saturne voit tant d’horreurs d’un œil indifférent ! Hélas ! sur quelle foi compter ! Rebut des flots, fugitif, sans asyle, je l’ai reçu dans mon palais : insensée ! j’ai partagé mon trône avec lui : les débris de sa flotte, je les ai sauvés du naufrage ; ses compagnons mourans, je les ai rendus à la vie…. Ah ! l’enfer et sa rage sont passés dans mon cœur. Si je l’en crois, c’est Apollon prophète, c’est la Lycie et ses oracles qui lui commandent le parjure ! si je l’en crois, l’interprète des Immortels, l’envoyé de Jupiter même, descend pour lui des cieux chargé d’ordres barbares ! Sans doute l’Olympe entier s’occupe de sa grandeur ! un soin si pressant trouble la paix des dieux ! Pars donc, je ne te retiens plus ; pars, je dédaigne de réfuter tes fables. Va, cours sur la foi des vents après ton Italie ; cherche à travers les ondes je ne sais quel empire. Mais puisse, s’il est des dieux vengeurs, ton crime épuiser leur colère au milieu des tempêtes, et ta voix trop tard suppliante invoquer vainement Didon ! Absente, je te suivrai sans cesse, armée du flambeau des Furies ; et quand la froide mort aura séparé mon âme de mes membres glacés,