Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/321

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Mais soudain, tressaillant de joie et fier de son bonheur, Mnesthée, que secondent l’agilité de ses rames et les vents qu’il implore, Mnesthée vainqueur tourne l’écueil, et, plus prompt que l’éclair, poursuit en paix sa route sur les mers aplanies. Comme une colombe, chassée de sa retraite par une frayeur subite, abandonne tout à coup la roche hospitalière, où sa douce couvée repose loin du jour : d’abord elle s’élance vers la plaine d’un vol précipité, et dans sa fuite éperdue fait retentir sa demeure de son bruyant essor : mais bientôt, balancée sous un ciel tranquille, elle nage mollement dans les flots d’un air pur, et rase au loin les nues de son aile immobile : ainsi Mnesthée, ainsi la rapide Baleine, fend au bout de la carrière la cime azurée des ondes ; ainsi l’emporte en son vol son impétueux élan. D’abord il laisse en arrière le malheureux Sergeste, luttant contre le vaste roc et ses gouffres de vase, appelant en vain du secours, et s’aidant comme il peut du débris de ses avirons. Ensuite il atteint Gyas et l’énorme Chimère : elle cède à son tour, privée de son pilote.

Cloanthe seul le devance encore, Cloanthe, déjà voisin du terme désiré. Mnesthée s’attache à lui, et, réunissant toutes ses forces, il le suit, il le presse de sa proue blanchissante. Alors les cris redoublent ; tous les vœux le poussent à la victoire, et les cieux retentissent de bruyantes acclamations. L’un s’indigne d’une gloire douteuse ; il brûle de conserver l’honneur qu’on lui dispute, résolu de périr, plutôt que de céder la palme : l’autre, animé par deux succès, ose encore davantage ; il peut triompher, parce qu’il croit le