Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/355

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ces nobles amusemens qui charmaient ses ancêtres. Aujourd’hui même, Troie revit dans ces feintes batailles, et Rome encore a ses bandes troyennes. C’était par de telles fêtes qu’Énée consacrait la mémoire de son divin père.

Tout à coup la Fortune change, et signale sa perfide inconstance. Pendant que ces divers spectacles honoraient le tombeau d’Anchise, la fille de Saturne fait descendre Iris des hauteurs de l’Olympe vers les nefs d’Ilion, et commande aux zéphyrs d’accélérer son vol : cent projets sinistres roulent dans l’âme de Junon, et ses antiques ressentimens ne sont pas encore assouvis. Aussitôt la céleste messagère glisse rapidement sur son arc peint de mille couleurs, et, plus prompte que l’éclair, touche sans être aperçue aux rivages de la Sicile. Elle observe la foule immense que la solennité rassemble ; et parcourant la plage, elle voit le port désert, la flotte abandonnée. Cependant, retirées à l’écart sur un bord solitaire, les Troyennes pleuraient la perte d’Anchise ; elles pleuraient, et les yeux fixés sur les flots en mesuraient tristement la vaste étendue. « Hélas ! après tant de fatigues, encore tant de mers à franchir, encore tant d’écueils à braver ! » Telle était leur plainte commune. Elles soupirent après un lieu de repos : leur courage est las de lutter contre les vents et les ondes. Iris, méditant ses complots, se glisse au milieu d’elles, dépouille avec ses traits divins son immortelle écharpe, et se cache sous les rides de la vieille Béroë, jadis épouse de l’Ismarien Dorycle, et qui dans ses beaux jours vantait sa naissance, son rang, ses aïeux.