Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/377

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sifflent, tendus de toutes parts ; de toutes parts la toile aux plis mouvans s’enfle au gré des zéphyrs : l’antenne gémissante tourne, descend, remonte, sous l’effort de cent câbles ; et la flotte, poussée par les vents prospères, vole sur l’humide empire. Du haut de la proue royale, Palinure dirige l’armée flottante : c’est sur lui que l’escadre entière doit régler sa manœuvre.

Déjà la Nuit taciturne avait presque atteint dans les cieux la moitié de son tour. Les matelots, durement couchés sur les bancs, à côté de la rame oisive, abandonnaient leurs sens au paisible repos. Tout à coup Morphée s’abat sans bruit des plaines étoilées, et, fendant les airs nébuleux, en écarte les ombres. C’est toi qu’il cherche, infortuné Palinure ! ce dieu t’apporte de sinistres pavots. Caché sous les traits de Phorbas, il s’assied sur la poupe élevée, et tient au vieux nocher ce langage artificieux : « Fils d’Iasus ! les flots se courbent d’eux-mêmes sous nos légers navires ; un souffle égal enfle nos voiles, et cette heure invite au sommeil. Goûte-s-en les douceurs, et dérobe un moment tes yeux à leur veille obstinée. Durant ce court intervalle, je guiderai pour toi les galères. » À ces mots, Palinure, soulevant avec peine sa paupière appesantie : « Veux-tu donc que j’oublie les caprices de l’onde et le calme insidieux des mers ? Moi, dormir sur la foi de ce perfide élément ! moi, confier le fils d’Anchise aux vents fallacieux ! Non ; l’éclat trompeur d’un ciel serein m’abusa trop souvent. » Telles étaient ses paroles : en même temps, appuyée sur le timon, sa main fidèle ne pouvait s’en arracher ; et ses regards, fixés sur la voûte céleste,