Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/419

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malheureuses victimes, privées en naissant des douceurs de la vie, et qu’un sort barbare arrache du sein maternel, pour les plonger du berceau dans la tombe. Près d’eux sont ces infortunés que la justice des hommes a frappés d’une mort injuste. Mais, dans les enfers, il n’est point d’arrêts iniques. Là, juge incorruptible, Minos agite l’urne fatale : il appelle devant lui les muettes tribus des ombres ; il discerne les justes, et confond les coupables. Plus loin gémissent consternés ceux que le chagrin, non le crime, arma contre leurs propres jours, et qui, détestant la lumière, ont rejeté comme un fardeau le bienfait de la vie. Ô qu’ils voudraient, rendus à la clarté des cieux, subir encore sur la terre et l’indigence et tous les maux ! Vœux impuissans ! l’odieux marais du Cocyte les retient sur ses bords lugubres ; et neuf fois replié sur eux, le Styx les enferme à jamais.

Au-delà s’ouvre le champ des larmes ; vaste et mélancolique retraite, chère aux victimes de l’amour. C’est là qu’elles aiment à s’égarer dans des routes solitaires, sous l’épaisseur des myrtes dont les ombrages couvrent ces lieux : leurs soucis les poursuivent, même après le trépas. On y voit Phèdre, et Procris, et la triste Ériphyle, montrant le coup parricide dont l’atteignit un autre Oreste. Évadné s’y promène en deuil près de Laodamie. Pasiphaé s’y cache ; et Cénis, d’abord femme, puis guerrier redoutable, s’y plaint de la mort qui l’enchaîne sous sa forme première.

Sanglante encore de sa récente blessure, la reine de Carthage errait pensive dans ce bois spacieux. Le