Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/79

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pu toucher vos bords. Mais quels hommes les habitent ? quelle contrée sauvage autorise de pareilles mœurs ? On nous dispute l’asyle du rivage ; le glaive nous repousse, et la terre nous refuse un abri. Cruels ! si vous bravez les lois humaines et les armes des mortels, redoutez au moins les dieux, les dieux qui savent punir le crime et venger l’innocence. Sur nous régnait un prince fameux par sa vertu, le grand Énée, qui n’eut point d’égal en sagesse, en vaillance, en exploits. Si les destins veillent sur lui ; s’il respire encore l’air que nous respirons ; s’il ne dort point du sommeil de la mort ; plus de soins pour nous, plus d’alarmes : et vous, Reine, en prévenant ses vœux par vos bienfaits, ne craignez point un repentir. Il nous reste encore, aux plaines de Sicile, et des villes et des armées : le beau sang de Dardanus y revit avec gloire sur le trône d’Aceste. Qu’il nous soit permis de recueillir sous vos auspices les débris de nos vaisseaux, de réparer dans vos forêts les outrages de la tempête, d’y préparer de nouveaux mâts et des rames nouvelles ; alors, si l’Ausonie ne nous est point fermée, si nos compagnons d’armes, si le héros qui nous guidait, sont rendus à notre amour, nous voguerons avec joie vers la douce Ausonie, vers l’heureux Latium. Mais s’il n’est plus de salut ; si les mers de Libye, ô généreux père des Troyens, ont englouti tes jours ; si l’espérance d’Iule est éteinte avec toi ; que nous puissions du moins revoir les rives Sicaniennes, et ces demeures fraternelles, d’où les vents ennemis nous ont jetés sur vos écueils, et cet empire d’Aceste, dernier refuge de nos malheurs ! »