Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/95

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contemple, plus son cœur s’enflamme. Et les grâces de l’aimable enfant, et ses dons séducteurs, la remplissent d’une égale ivresse. D’abord l’artificieux Amour, suspendu au cou du héros, semble s’oublier dans ses bras, et rend caresse pour caresse à l’erreur d’un père abusé : ensuite il vole vers la reine. Les regards fixés sur lui seul, l’âme occupée toute entière de ses perfides attraits, Didon l’approche de son sein, Didon l’y presse avec ardeur. Malheureuse ! elle ignore quel dieu redoutable folâtre sur ses genoux ! Lui cependant, fidèle aux leçons de sa mère, il efface peu-à-peu Sichée du souvenir d’une épouse, et par degrés ouvre aux feux du désir un cœur depuis long-temps paisible, et déjà tiède au doux plaisir d’aimer.

Mais le banquet touche à son terme, et les mets sont desservis. Enfin paraissent les larges coupes des libations, et l’écume pétillante en couronne les bords. Des cris de joie s’élèvent, et les voix confondues roulent en bruyans éclats sous les vastes lambris. Suspendus à l’or des plafonds, cent lustres étincellent de feux dont la clarté triomphe de l’obscurité de la nuit. La reine alors demande ce riche cratère, magnifique assemblage de diamans et d’or, noble héritage de Bélus et des rois de sa race. Didon le remplit d’un vin pur, et soudain règne un religieux silence. « Ô Jupiter, dit-elle, dieu protecteur de l’hospitalité, fais que ce jour soit heureux pour les enfans de Tyr, pour les enfans de Troie ! fais que la mémoire en soit chère à nos derniers neveux ! Viens parmi nous, divin Bacchus, père aimable de la gaieté ! Bienfaisante Junon, sois propice à nos vœux ! Et vous tous, ô fils d’Agénor, célébrez avec moi la fête qui nous rassemble ! »