Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/481

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Ainsi, quand la flèche du Parthe ou du Crétois fuit, chassée de l’arc homicide, dans les airs nébuleux, et court, trempée de sucs mortels, ouvrir une blessure incurable, le trait siffle, et passe invisible à travers les ombres légères. Telle s’élance la fille de la Nuit, tel son essor impétueux la précipite vers la terre. Sitôt qu’elle aperçoit les phalanges troyennes et les bataillons de Turnus, elle ramasse tout à coup son corps gigantesque sous la forme amincie de cet oiseau funèbre, qui, perché durant la nuit sur les tombeaux ou sur les toits déserts, prolonge dans les ténèbres ses lugubres accens ; déguisée sous ces traits, la cruelle messagère passe et repasse avec un bruit sinistre alentour de Turnus, et bat d’une aile importune le bouclier du héros. Il frissonne : une torpeur inconnue s’empare de ses membres ; ses cheveux se dressent d’horreur ; sa voix expire sur ses lèvres.

Aux sifflemens lointains, au vol affreux du monstre, l’infortunée Juturne a reconnu la Furie. Dans son désespoir, la Nymphe arrache ses beaux cheveux épars, déchire d’un ongle barbare son visage baigné de larmes, et meurtrit son sein virginal : « Que peut maintenant pour toi, Turnus, ta malheureuse sœur ? et quelle espérance, hélas ! me reste-t-il encore ? Par quel heureux artifice prolonger désormais tes jours ? Est-il en ma puissance de résister au spectre fatal qui t’assiège ? C’en est fait, c’en est fait, j’abandonne le champ du combat. Cessez d’accroître mes terreurs, oiseaux funestes : je connais le bruit de vos ailes, je connais vos cris de mort : ils ne m’apprennent que trop les superbes arrêts du