Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/485

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voisins, et séparait leurs bords litigieux. À peine douze mortels des plus robustes, douze mortels pareils à ceux que notre siècle enfante, pourraient en soutenir la charge sur leurs fortes épaules. Le héros le soulève d’une main frémissante, se dresse de toute sa hauteur, et, fondant sur son ennemi, s’apprête à l’écraser. Mais ce n’est plus cette agilité qui naguères lui prêtait des ailes, ce n’est plus cette vigueur que n’eût point étonnée le poids d’un roc énorme : Turnus ne se reconnaît plus : ses genoux fléchissent, un froid subit a glacé tout son sang ; et le bloc, lancé d’un bras trop faible, roule en vain dans le vide, sans pouvoir fournir sa carrière, ni porter le coup fatal.

Tel parfois dans l’ombre des nuits, lorsqu’un profond sommeil appesantit ses paupières, l’homme essaie en songe une course impuissante, et, trompé dans ses vains efforts, succombe aux langueurs qui l’accablent : il veut parler, sa voix expire sur ses lèvres ; ses membres sans ressorts cherchent inutilement leur force évanouie, et sa langue muette n’obéit plus à sa pensée. Ainsi Turnus rappelle en vain sa valeur indignée : l’impitoyable Furie en arrête les élans. Il se trouble ; mille sentimens contraires agitent son âme incertaine : ses regards implorent tour à tour et Laurente et l’armée ; la crainte enchaîne ses pas ; il frissonne à l’aspect du fer qui le menace ; il ne sait comment assaillir son rival ; son char, sa sœur, et son guide avec elle, tout a disparu comme un songe.

Pendant qu’il flotte irrésolu, Énée lève tout à coup le fatal javelot, et, choisissant de l’œil où frapper sa