Page:Virgile - Georgiques Delille 1819.djvu/151

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S’enivrent de l’encens d’une foule idolâtre ;
Le frère égorge un frère, et va sous d’autres cieux
Mourir loin des lieux chers qu’habitaient ses aïeux.
Le laboureur en paix coule des jours prospères :
Il cultive le champ que cultivaient ses pères :
Ce champ nourrit l’État, ses enfants, ses troupeaux,
Et ses bœufs, compagnons de ses heureux travaux.
Ainsi que les saisons, sa fortune varie :
Ses agneaux au printemps peuplent sa bergerie ;
L’été remplit sa grange, affaisse ses greniers ;
L’automne d’un doux poids fait gémir ses paniers ;
Et les derniers soleils, sur les côtes vineuses,
Achèvent de mûrir les grappes paresseuses.
L’hiver vient ; mais pour lui l’automne dure encor :
Les bois donnent leurs fruits, l’huile coule à flots d’or.
Cependant ses enfants, ses premières richesses,
À son cou suspendus disputent ses caresses :
Chez lui de la pudeur tout respecte les lois ;
Le lait de ses troupeaux écume entre ses doigts ;
Et ses chevreaux, tout fiers de leur corne naissante,
Se font en bondissant une guerre innocente.
Les fêtes, je le vois partager ses loisirs
Entre un culte pieux et d’utiles plaisirs :
Il propose des prix à la force, à l’adresse ;
L’un déploie en luttant sa nerveuse souplesse ;
L’autre frappe le but d’un trait victorieux,
Et d’un cri triomphant fait retentir les cieux.
Ainsi les vieux Sabins vivaient dans l’innocence ;
Ainsi des fiers Toscans s’agrandit la puissance ;
Ainsi Rome, aujourd’hui reine des nations,
Seule en sa vaste enceinte a renfermé sept monts.
Même avant Jupiter, avant que l’homme impie
Du sang des animaux osât souiller sa vie,
Ainsi vivait Saturne : alors d’affreux soldats
Au bruit des fiers clairons ne s’entr’égorgeaient pas ;