Page:Virgile - Georgiques Delille 1819.djvu/279

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Lorsque le loup s’irrite aux cris du tendre agneau,
Le dieu sur son rocher compte au loin son troupeau.
À peine il s’assoupit, que le fils de Cyrène
Accourt, pousse un grand cri, le saisit et l’enchaîne.
Le vieillard de ses bras sort en feu dévorant ;
Il s’échappe en lion, il se roule en torrent.
Enfin, las d’opposer une défense vaine,
Il cède ; et se montrant sous une forme humaine :
« Jeune imprudent, dit-il, qui t’amène en ce lieu ?
Parle, que me veux-tu ? » « Vous le savez, grand dieu,
Oui, vous le savez trop, lui répond Aristée ;
Le livre des destins est ouvert à Protée :
L’ordre des immortels m’amène devant vous :
Daignez... » Le dieu, roulant des yeux pleins de courroux,
À peine de ses sens dompte la violence,
Et tout bouillant encor rompt ainsi le silence :
« Tremble, un dieu te poursuit ! Pour venger ses douleurs,
Orphée a sur sa tête attiré ces malheurs ;
Mais il n’a pas au crime égalé le supplice.
Un jour tu poursuivais sa fidèle Eurydice ;
Eurydice fuyait, hélas ! et ne vit pas
Un serpent que les fleurs recelaient sous ses pas.
La mort ferma ses yeux : les nymphes ses compagnes
De leurs cris douloureux remplirent les montagnes ;
Le Thrace belliqueux lui-même en soupira ;
Le Rhodope en gémit, et l’Èbre en murmura.
Son époux s’enfonça dans un désert sauvage :
Là, seul, touchant sa lyre, et charmant son veuvage,
Tendre épouse ! c’est toi qu’appelait son amour,