Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/266

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continuels ; et toute l’Italie fit pour moi des sonnets dont il n’y eut pas un seul de passable. Je touchais au moment de mon bonheur, quand une vieille marquise, qui avait été maîtresse de mon prince, l’invita à prendre du chocolat chez elle ; il mourut en moins de deux heures avec des convulsions épouvantables ; mais ce n’est qu’une bagatelle. Ma mère au désespoir, et bien moins affligée que moi, voulut s’arracher pour quelque temps à un séjour si funeste. Elle avait une très belle terre auprès de Gaïète : nous nous embarquâmes sur une galère du pays, dorée comme l’autel de Saint-Pierre de Rome. Voilà qu’un corsaire de Salé fond sur nous et nous aborde : nos soldats se défendirent comme des soldats du pape ; ils se mirent tous à genoux en jetant leurs armes, et en demandant au corsaire une absolution in articulo mortis.

Aussitôt on les dépouilla nus comme des singes, et ma mère aussi, nos filles d’honneur aussi, et moi aussi. C’est une chose admirable que la diligence avec laquelle ces messieurs déshabillent le monde ; mais ce qui me surprit davantage, c’est qu’ils nous mirent à tous le doigt dans un endroit où nous autres femmes nous ne nous laissons mettre d’ordinaire que des canules. Cette cérémonie me paraissait bien étrange : voilà comme on juge de tout quand on n’est pas sorti de son pays. J’appris bientôt que c’était pour voir si nous n’avions pas caché là quelques diamants ; c’est un usage établi de temps immémorial parmi les nations policées qui courent sur mer. J’ai su que messieurs les religieux chevaliers de Malte n’y manquent