Je ne vous aurais même jamais parlé de mes malheurs, si vous ne m’aviez pas un peu piquée, et s’il n’était d’usage, dans un vaisseau, de conter des histoires pour se désennuyer. Enfin, mademoiselle, j’ai de l’expérience, je connais le monde ; donnez-vous un plaisir, engagez chaque passager à vous conter son histoire, et s’il s’en trouve un seul qui n’ait souvent maudit sa vie, qui ne se soit souvent dit à lui-même qu’il était le plus malheureux des hommes, jetez-moi dans la mer la tête la première.
Comment Candide fut obligé de se séparer de la belle Cunégonde et de la vieille.
La belle Cunégonde, ayant entendu l’histoire de la vieille, lui
fit toutes les politesses qu’on devait à une personne de son rang
et de son mérite. Elle accepta la proposition ; elle engagea tous
les passagers, l’un après l’autre, à lui conter leurs aventures.
Candide et elle avouèrent que la vieille avait raison. C’est
bien dommage, disait Candide, que le sage Pangloss ait été pendu
contre la coutume dans un auto-da-fé ; il nous dirait des choses
admirables sur le mal physique et sur le mal moral qui couvrent
la terre et la mer, et je me sentirais assez de force pour oser
lui faire respectueusement quelques objections.
À mesure que chacun racontait son histoire, le vaisseau avançait. On aborda dans Buénos-Ayres.