Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/332

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horribles. Les parents de madame intentèrent à monsieur un procès criminel ; il prit la fuite, et moi je fus mise en prison. Mon innocence ne m’aurait pas sauvée, si je n’avais été un peu jolie. Le juge m’élargit à condition qu’il succéderait au médecin. Je fus bientôt supplantée par une rivale, chassée sans récompense, et obligée de continuer ce métier abominable qui vous paraît si plaisant à vous autres hommes, et qui n’est pour nous qu’un abîme de misère. J’allai exercer la profession à Venise. Ah ! monsieur, si vous pouviez vous imaginer ce que c’est que d’être obligée de caresser indifféremment un vieux marchand, un avocat, un moine, un gondolier, un abbé ; d’être exposée à toutes les insultes, à toutes les avanies ; d’être souvent réduite à emprunter une jupe pour aller se la faire lever par un homme dégoûtant ; d’être volée par l’un de ce qu’on a gagné avec l’autre ; d’être rançonnée par les officiers de justice, et de n’avoir en perspective qu’une vieillesse affreuse, un hôpital, et un fumier, vous concluriez que je suis une des plus malheureuses créatures du monde.

Paquette ouvrait ainsi son cœur au bon Candide, dans un cabinet, en présence de Martin, qui disait à Candide : Vous voyez que j’ai déjà gagné la moitié de la gageure.

Frère Giroflée était resté dans la salle à manger, et buvait un coup en attendant le dîner. Mais, dit Candide à Paquette, vous aviez l’air si gai, si content, quand je vous ai rencontrée ; vous chantiez, vous caressiez le théatin avec une complaisance naturelle ; vous m’avez paru aussi heureuse que vous prétendez