Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/339

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j’ai conclu que j’en savais autant que lui, et que je n’avais besoin de personne pour être ignorant.

Ah ! voilà quatre-vingts volumes de recueils d’une académie des sciences, s’écria Martin ; il se peut qu’il y ait là du bon. Il y en aurait, dit Pococurante, si un seul des auteurs de ces fatras avait inventé seulement l’art de faire des épingles ; mais il n’y a dans tous ces livres que de vains systèmes, et pas une seule chose utile.

Que de pièces de théâtre je vois là, dit Candide, en italien, en espagnol, en français ! Oui, dit le sénateur, il y en a trois mille, et pas trois douzaines de bonnes. Pour ces recueils de sermons, qui tous ensemble ne valent pas une page de Sénèque, et tous ces gros volumes de théologie, vous pensez bien que je ne les ouvre jamais, ni moi, ni personne.

Martin aperçut des rayons chargés de livres anglais. Je crois, dit-il, qu’un républicain doit se plaire à la plupart de ces ouvrages écrits si librement. Oui, répondit Pococurante, il est beau d’écrire ce qu’on pense ; c’est le privilège de l’homme. Dans toute notre Italie, on n’écrit que ce qu’on ne pense pas ; ceux qui habitent la patrie des Césars et des Antonins n’osent avoir une idée sans la permission d’un jacobin. Je serais content de la liberté qui inspire les génies anglais, si la passion et l’esprit de parti ne corrompaient pas tout ce que cette précieuse liberté a d’estimable.

Candide apercevant un Milton, lui demanda s’il ne regardait pas cet auteur comme un grand homme. Qui ? dit Pococurante, ce barbare, qui fait un long commentaire