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À MADEMOISELLE CLAIRON.

noncer tout haut des vers français que tous les honnêtes gens lisent, ou même des vers qu’on ne lit guère : c’est un ridicule qui m’a souvent frappé parmi bien d’autres, et ce ridicule, tenant à des choses sérieuses, pourrait quelquefois mettre de fort mauvaise humeur.

Quoi qu’il en soit, l’art de la déclamation demande à la fois tous les talents extérieurs d’un grand orateur, et tous ceux d’un grand peintre. Il en est de cet art comme de tous ceux que les hommes ont inventés pour charmer l’esprit, les oreilles et les yeux ; ils sont tous enfants du génie, tous devenus nécessaires à la société perfectionnée ; et ce qui est commun à tous, c’est qu’il ne leur est pas permis d’être médiocres. Il n’y a de véritable gloire que pour les artistes qui atteignent la perfection ; le reste n’est que toléré.

Un mot de trop, un mot hors de sa place, gâte le plus beau vers ; une belle pensée perd tout son prix si elle est mal exprimée ; elle vous ennuie si elle est répétée : de même des inflexions de voix ou déplacées, ou peu justes, ou trop peu variées, dérobent au récit toute sa grâce. Le secret de toucher les cœurs est dans l’assemblage d’une infinité de nuances délicates, en poésie, en éloquence, en déclamation, en peinture ; la plus légère dissonance en tout genre est sentie aujourd’hui par les connaisseurs ; et voilà peut-être pourquoi l’on trouve si peu de grands artistes, c’est que les défauts sont mieux sentis qu’autrefois. C’est faire votre éloge que de vous dire ici combien les arts sont difficiles. Si je vous parle de mon ouvrage, ce n’est que pour admirer vos talents.

Cette pièce est assez faible. Je la fis autrefois^^1 pour essayer de fléchir un père rigoureux qui ne voulait pardonner ni à son gendre, ni à sa fille, quoiqu’ils fussent très-estimables, et qu’il n’eût à leur reprocher que d’avoir fait sans son consentement un mariage que lui-même aurait dû leur proposer.

L’aventure de Zulime, tirée de l’histoire des Maures, présentait au spectateur une princesse bien plus coupable ; et Bénassar son père, en lui pardonnant, ne devait qu’inviter davantage à la clémence ceux qui pourraient avoir à punir une faute plus graciable que celle de Zulime.

Malheureusement, la pièce parait avoir quelque ressemblance avec Bajazet ; et, pour comble de malheur, elle n’a point d’Aco-

1. En 1739 ; mais dans ses lettres à d’Argental, des 7 et 9 janvier, Voltaire ne souffle mot de la circonstance dont il parle ici. (B.)