Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/136

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Soit que, dans ces moments où je t’ai rencontrée,
Mon âme tout entière à son bonheur livrée,
Oubliant ses douleurs, et chassant tout effroi,
Ne connût, n’entendît, ne vît plus rien que toi ;
Je me trouvais heureux d’être auprès de Zopire.
Je le hais d’autant plus qu’il m’avait su séduire :
Mais malgré le courroux dont je dois m’animer,
Qu’il est dur de haïr ceux qu’on voulait aimer !

Palmire.

Ah ! que le ciel en tout a joint nos destinées !
Qu’il a pris soin d’unir nos âmes enchaînées !
Hélas, sans mon amour, sans ce tendre lien,
Sans cet instinct charmant qui joint mon cœur au tien,
Sans la religion que Mahomet m’inspire,
J’aurais eu des remords en accusant Zopire.

Séide.

Laissons ces vains remords, et nous abandonnons
À la voix de ce dieu qu’à l’envi nous servons.
Je sors. Il faut prêter ce serment redoutable ;
Le dieu qui m’entendra nous sera favorable ;
Et le pontife-roi, qui veille sur nos jours,
Bénira de ses mains de si chastes amours.
Adieu. Pour être à toi, je vais tout entreprendre.


Scène II.

Palmire.

D’un noir pressentiment je ne puis me défendre.
Cet amour dont l’idée avait fait mon bonheur,
Ce jour tant souhaité n’est qu’un jour de terreur.
Quel est donc ce serment qu’on attend de Séide ?
Tout m’est suspect ici ; Zopire m’intimide.
J’invoque Mahomet, et cependant mon cœur
Éprouve à son nom même une secrète horreur.
Dans les profonds respects que ce héros m’inspire,
Je sens que je le crains presque autant que Zopire.
Délivre-moi, grand dieu, de ce trouble où je suis !
Craintive je te sers, aveugle je te suis :
Hélas ! daigne essuyer les pleurs où je me noie !