Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/165

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En vain la vertu même habitait dans mon cœur.
Toi, tremble, scélérat ! si Dieu punit l’erreur,
Vois quel foudre il prépare aux artisans des crimes :
Tremble ; son bras s’essaie à frapper ses victimes.
Détournez d’elle, ô Dieu ! cette mort qui me suit !

Palmire.

Non, peuple, ce n’est point un dieu qui le poursuit ;
Non ; le poison sans doute…

Mahomet, en l’interrompant, et s’adressant au peuple.

Non ; le poison sans doute…Apprenez, infidèles,
À former contre moi des trames criminelles :
Aux vengeances des cieux reconnaissez mes droits.
La nature et la mort ont entendu ma voix.
La mort, qui m’obéit, qui, prenant ma défense,
Sur ce front pâlissant a tracé ma vengeance ;
La mort est, à vos yeux, prête à fondre sur vous.
Ainsi mes ennemis sentiront mon courroux ;
Ainsi je punirai les erreurs insensées,
Les révoltes du cœur, et les moindres pensées.
Si ce jour luit pour vous, ingrats, si vous vivez,
Rendez grâce au pontife à qui vous le devez.
Fuyez, courez au temple apaiser ma colère.

(Le peuple se retire.)
Palmire, revenant à elle.

Arrêtez. Le barbare empoisonna mon frère.
Monstre, ainsi son trépas t’aura justifié !
À force de forfaits tu t’es déifié.
Malheureux assassin de ma famille entière,
Ôte-moi de tes mains ce reste de lumière.
Ô frère ! ô triste objet d’un amour plein d’horreurs !
Que je te suive au moins !

(Elle se jette sur le poignard de son frère, et s’en frappe.)
Mahomet.

Que je te suive au moins !Qu’on l’arrête !

Palmire.

Que je te suive au moins ! Qu’on l’arrête !Je meurs.
Je cesse de te voir, imposteur exécrable.
Je me flatte, en mourant, qu’un Dieu plus équitable
Réserve un avenir pour les cœurs innocents.
Tu dois régner ; le monde est fait pour les tyrans.

Mahomet.

Elle m’est enlevée… Ah ! trop chère victime !